ça s’est passé en février

Pris par des contraintes imprévues, j’avais axé ma chronique de janvier 2013 sur le jugement Icesave et ses conséquences, et mis de côté certaines informations économiques. Il faut donc y revenir, d’autant que le rapport de « préaccession » à l’Union Européenne préparé par le Ministère des Finances fournit une excellente base d’information. Il faut aussi revenir sur les conséquences politiques du jugement Icesave car ce dernier semble provoquer un véritable séisme en propulsant à moins de deux mois des élections le Parti du Progrès à un niveau inattendu.

Enfin, cette Chronique islandaise doit se transformer exceptionnellement en Chronique parisienne pour relater la visite très réussie du Président Ólafur Ragnar Grímsson à Paris.

 Les mouvements politiques à la veille des élections

Après l’Alliance Social-démocrate qui, à l’occasion de son congrès de janvier, a porté Árni Páll Árnason à sa présidence, deux autres des quatre partis traditionnels ont tenu des assises importantes.

Katrín Jakobsdóttir
Katrín Jakobsdóttir

La Gauche Verte a du à son tour se choisir un nouveau président après la décision inattendue de Steingrímur Sigfússon de ne pas briguer un nouveau mandat. Ce sera une femme, Katrín Jakobsdóttir, Ministre de l’Education et ancienne vice-présidente du parti, élue sans surprise avec 98.4% des voix.

Au Parti de l’Indépendance Bjarni Benediktsson est reconduit comme président avec 79% des voix. Ce score masque un fort malaise dans le parti, dont bon nombre d’adhérents auraient préféré Hanna Birna Kristjánsdóttir, ancien maire de Reykjavík, beaucoup plus populaire dans le parti et dans l’opinion. Mais celle-ci n’a pas voulu entrer en concurrence avec Bjarni ; elle sera donc première vice-présidente, élue avec 95% des voix. Le deuxième vice-président est Kristján Þór Júlíusson, qui représente les adhérents hors Reykjavík et ses environs. Pour asseoir son autorité, Bjarni doit prendre des positions plus radicales à propos de l’adhésion à l’Union Européenne.

Cette mise en ordre de bataille préélectorale est perturbée par le jugement favorable à l’Islande dans l’affaire Icesave. L’opinion islandaise, à juste titre satisfaite du résultat, semble décidée à porter sa confiance vers ceux qui ont contesté les accords signés avec les Britanniques et les Néerlandais. C’est ainsi que le Président Ólafur Ragnar se voit crédité de 64% d’opinions favorables. Mais le grand gagnant est Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, président du Parti du Progrès. Voici qu’en quelques

S. Davíð Gunnlaugsson
S. Davíð Gunnlaugsson

semaines son parti passe d’environ 12% des intentions de vote à 26% ; il talonne ainsi le Parti de l’Indépendance qui, malgré les promesses faites lors de son congrès, n’a plus que 29% des intentions de vote et paie ainsi l’engagement de son président en faveur du dernier accord Icesave. L’autre victime de ce reclassement est le parti « Avenir radieux », qui tombe de 16 à 8.7%. Par contre, certainement à la suite de son changement de direction, la Gauche Verte repasse de 7.4% à 11.8%, loin il est vrai de son résultat aux élections de 2009 (21.7%). Neuf (9 !) autres partis sont en lice, dont aucun ne dépasse le seuil de 5% qu’il est nécessaire de franchir pour avoir au moins un élu.

De telles variations témoignent de la volatilité de l’opinion. Pourtant les résultats mentionnés ci-dessus sont confortés par un autre sondage du même organisme sur la confiance à l’égard des dirigeants de partis : Sigmundur Davíð, opposant de toujours aux accords Icesave, et peu avare de promesses, par exemple de régler au plus vite le problème des dettes des particuliers, est crédité de 40% d’opinions favorables. Il est suivi de très loin par Bjarni Benediktsson (19%), Katrín Jakobsdóttir (15%), Árni Páll Árnason (13%) et Guðmundur Steingrímsson (Avenir Radieux – 7%).

Mais, comme le fait remarquer Jón Sigurðsson, président du Parti du Progrès en 2006-2007, Sigmundur Davíð, ministre, se serait-il opposé aux accords Icesave ?

La réforme constitutionnelle

On a compris que cette réforme est passée au second plan. De fait les avis divergent au sein de la majorité sur l’opportunité, voire la possibilité, d’aboutir à un projet de loi assez tôt pour le soumettre à l’Alþingi avant sa séparation. La Commission de Venise, cet organe du Conseil de l’Europe spécialiste du droit constitutionnel auquel le projet a été soumis, a relevé un certain nombre d’obscurités dans le texte et mis en garde contre toute précipitation. Mais cette commission de juristes est elle bien au fait de la réalité politique islandaise ?

La situation économique

Le programme de pré-accession – Depuis le début des négociations avec l’Union Européenne, le gouvernement islandais soit chaque année produire un document faisant le point sur sa progression à l’égard de la réglementation communautaire. C’est évidemment une excellente synthèse, fût-elle gouvernementale, de la situation économique de l’île et surtout des orientations pour l’avenir.

Nous connaissons les développements récents :

  • progression du PNB de 2.6% en 2011 et vraisemblablement de 2 à 2.5% pour 2012, soit un recul par rapport aux prévisions, mais néanmoins un retour au niveau de 2006,
  • surplus de la balance commerciale représentant 9% du PNB de 2009 à 2011, mais plus faible en 2012 du fait d’une importante progression des importations,
  • réduction rapide du chômage, pour atteindre 5.7% en décembre 2012 (mois de faible activité) à comparer à 7.3% en décembre 2011,
  • forte augmentation des salaires mi-2011 (fin du premier pacte de stabilité) puis ralentissement.

Chomage

Ces tendances devraient être confirmées pour les années à venir, avec cependant une grosse incertitude sur l’investissement. Un certain nombre de projets (extension de l’usine de Straumsvík, construction de l‘usine de Helguvík…) dont le démarrage était prévu en 2013 sont en effet repoussés à 2014 ou 2015, soit à cause de l’hostilité des environnementalistes, soit par manque de financements.

Le budget 2013 est encore légèrement déficitaire du fait des intérêts sur la dette, mais devrait être positif les années suivantes. Quant à la dette publique elle-même, actuellement autour de 100% du PNB, elle devrait être ramenée à 80% en 2016

Une préoccupation importante est la levée progressive du contrôle des changes, encore nécessaire pour éviter la sortie massive de capitaux étrangers spéculatifs, mais grosse entrave pour le développement international des entreprises. Pour beaucoup de spécialistes, le problème ne pourra être réglé que par un changement de monnaie ; or selon la Banque Centrale, seul l’euro, dans cette hypothèse, serait le bon choix ! Joli casse-tête pour le Parti de l’Indépendance, s’il est au pouvoir après les élections, lui qui est contre l’adoption de l’euro, mais veut plus que d’autres, compte tenu de ses liens avec les milieux d’affaires, la levée de toute entrave aux transferts de capitaux !

A plus long terme, l’économie islandaise, notamment son commerce extérieur, reste dépendante de deux activités très exposées à la conjoncture internationale et aux variations des cours mondiaux, c’est pourquoi de nouvelles diversifications doivent être recherchées. Un certain nombre de projets sont à l’étude qui vont en ce sens :

  • recherche et production d’hydrocarbures dans la zone du Dragon, en coopération avec la Norvège,
  • étude de faisabilité d’un câble sous-marin permettant le transport d’électricité vers l’Europe continentale. Si celle-ci est positive le début de la construction est envisagé pour 2020,
  • projets « verts » dans les domaines du tourisme, des biotechnologies, ou de l’utilisation de la fibre de carbone. Le gouvernement inclut dans ce chapitre la construction de « data centers »,
  • restructuration des activités financières, banques, caisses d’épargne et caisses de retraite, avec le souci de ne plus être exposés aux errements ayant conduit à la crise,
  • réforme du marché du travail pour réduire le nombre encore élevé de chômeurs de longue durée,
  • réforme de la protection sociale, avec notamment le souci de faire face à la dépendance.

Le commerce extérieur – Les informations récemment publiées par le Bureau des Statistiques confirment effectivement que l’excédent commercial de 2012 a été inférieur à celui de 2011 : 75,535 milliards d’Ikr (exportations : 631.6 milliards – importations : 556 milliards) contre 97,142. C’est que les exportations en couronne constante se sont légèrement repliées (- 0.5%), alors que les importations ont progressé de 3.9%. Ce résultat est du à une sensible diminution des cours de l’aluminium, d’un coté, et de l’autre aux importations (+6%) de produits pétroliers.

Par contre, toujours pour 2012, la balance des services est largement excédentaire : 379 milliards d’Ikr aux exportations et 347 aux importations, soit un excédent de 32.152 milliards (41.6 en 2011). C’est le poste « transports » qui est le plus excédentaire (74.2 milliards) suivi des « services touristiques » (8 milliards). Les autres postes sont déficitaires.

Les prix
Malgré la progression de la demande intérieure, l’inflation se résorbe progressivement (4.2% de janvier 2011 à janvier 2012). Pourtant l’indice de février +1.64% par rapport à janvier, peut inquiéter. La progression vient surtout des produits importés, malgré le renchérissement de l’Ikr (162.1 Ikr pour 1 euro au 1er mars, au lieu de 169.8 au 1er janvier 2013).

Bouteiller-Grimsson

Relations extérieures

Visite officielle en France du Président Ólafur Ragnar – Donc, pour la première fois depuis 1983 (visite de Vigdís Finnbogadóttir), un chef d’état islandais se rend en visite officielle en France. Entre le 25 février et le 29, le président Ólafur Ragnar ne va pas chômer : rencontres avec François Hollande (1) et Michel Rocard en tant qu’Ambassadeur pour les régions arctiques, visites à l’Assemblée Nationale et au Sénat, ainsi qu’à l’Unesco et à l’OCDE, participation à la conférence de la Chambre de Commerce Franco-Islandaise, rencontres avec les maires de Gravelines et Paimpol, deux villes jumelées avec des villes islandaises… Une visite très utile, où l’on a surtout parlé d’échanges économiques et d’Arctique…

Autres :

Össur Skarphéðinsson, Ministre des Affaires Etrangères, est lui aussi très actif :

  • il rencontre le 18 février Linas Linkevicius, son homologue lituanien,
  • il participe le 28 février à Rome au sommet de l’Otan, où il invite John Kerry, son homologue américain, à visiter l’Islande,

mais surtout Össur présente, le 14 février, son rapport annuel à l’Alþingi. Dans son exposé il insiste sur l’ouverture par le gouvernement de trois voies nouvelles :

  • négociation pour l’adhésion à l’Union Européenne, puis entrée dans la zone Euro,
  • présence de l’Islande parmi les nations riveraines de l’Océan Arctique, mais aussi exploitation des ressources pétrolières autour de Jan Mayen,
  • coopération avec les nations asiatiques, notamment la Chine et Singapour, elles aussi intéressées par les nouvelles routes maritimes s’ouvrant dans l’Arctique.

Comme de coutume, Össur accompagne sa présentation d’un plaidoyer passionné en faveur de l’adhésion à l’Union Européenne. Ce plaidoyer n’émeut guère les dirigeants des deux partis d’opposition, qui ne vont certainement pas, à quelques semaines des élections, assouplir des positions nationalistes qui les ont si bien aidés à retrouver leur audience. Surprise, Katrín Jacobsdóttir, nouvelle présidente de la Gauche Verte, exprime le souhait que la négociation aille à son terme.

Justice

Jón Ásgeir Jóhannesson, souvent cité ici pour son rôle dans la crise financière, sa soeur Kristín et Tryggvi Jónsson qui lui étaient associés dans la gestion de la holding Baugur, ont été condamnés pour fraude fiscale : Jón Ásgeir à douze mois de prison et à une amende de 62 millions d’Ikr, Tryggvi à dix-huit mois de prison et 32 millions d’amende, Kristín à trois mois de prison. Ces trois peines de prison sont assorties de sursis.

J. Á. Jóhannesson
J. Á. Jóhannesson / Grapevine

Pendant ce temps la vie continue…

  • 11.02 : 40% des Islandais font du bénévolat,
  • 12.02 – il faut deux milliards d’Ikr (12 millions d’euros) pour sauver Harpa de la faillite,
  • 14.02 : 50000 tonnes de harengs se sont échoués sur les plages du Kolgrafafjör•ur (nord du Snæfellsnes) depuis décembre,
  • 27.02 : Steven Spielberg veut tourner un film en Islande,
  • 27.02 : on a trouvé de l’or le long de Þormóðsdalur : le gisement serait évidemment exceptionnellement
  • riche…
  • 28.02 – il y aurait à Kirkjubæjarklaustur un arbre de 24 mètres, le plus haut d’Islande !
  • 28.02 – le nombre de touristes étrangers venus en Islande en janvier a progressé de 30%.

Harpa

(1) Voir site de l’Ambassade de France en Islande http://ambafrance-is.org/-Francais- et site de l’Ambassade d’Islande en France http://www.iceland.is/iceland-abroad/fr/actualites/visite-officielle-de-monsieur-olafur-ragnar-grimsson-president-dislande/9747/ , ainsi que le site de la Présidence : http://english.forseti.is/

À propos de Michel

Ces lignes sont le résultat de lectures, de suggestions et d’informations que je peux obtenir autour de moi, mais elles n’engagent que ma seule responsabilité.

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