Tour d’Islande (3)

Tour d’Islande 1 Tour d’Islande 2

Le soleil s’est lâchement éclipsé, le ciel a tiré ses rideaux gris et un vent frais s’est mis à souffler. Il y avait peu de chance pour que le beau temps ne dure. Nous étions prévenus. Il n’a pas duré. Pas de surprise.

Fort heureusement, la disparition de la chaleur concorde avec notre arrivée au large de l’île de Papey, non loin de Djupivogur. Nous roulons dans la région des Fjords de l’Est. Dans mes rêves les plus extravagants, je ne pouvais imaginer décor plus impressionnant. Presque érotique, suis-je en train de penser secrètement, pendant que mes filles alternent conflits anodins et trêves ensommeillées.

La brume fait son apparition.Elle se meut lentement à basse altitude. Elle masque pudiquement les imposants sommets volcaniques, tel un voile grisâtre qui ondule sensuellement et cache les multiples seins de granit qui nous entourent, à plusieurs centaines de mètres au-dessus de nos têtes ébahies.
Jamais vu d’aussi grosses et anguleuses mamelles, moi !
Russ Meyer peut aller se rhabiller.

tour d'islande

Le temps se dégrade et le ciel s’assombrit encore. La route est totalement déserte ; cela fait dix bonnes minutes que nous n’avons croisé aucun véhicule. Une pluie fine et dense se joue maintenant de mes essuies glace, en mode « aller-retour toutes les 7 secondes ».
J’augmente la cadence. La bruine cesse, laissant mes deux métronomes s’activer inutilement en criant sur le pare brise. Taquine la pluie.

Le paysage change de physionomie. Mon rêve érotique s’est évanoui. Bien qu’improbable, j’entrevois maintenant un vol de ptérodactyle et je m’apprête à éviter de justesse un vélociraptor surgissant de la brume. L’île a l’impossible allure d’une Pangée. Elle s’est pris pendant quelques secondes plus de 200 millions d’années dans la tronche. C’est à la fois envoûtant et inquiétant.

Après avoir franchi un col dans le brouillard le plus complet, sur une route en terre parsemée de pierres et de graviers, à plus de 800 mètres d’altitude, sans aucune protection d’aucune sorte, en roulant à douze km/h, de crainte de reproduire l’envol de Papy Carl dans le dernier film de Disney, mais en voiture et sans ballon, nous atteignons Egilsstadir avant d’arriver à Seydisfjordur.

La météo est indécise.

Le soleil hésite entre nous réchauffer de ses rayons perpétuels ou disparaître définitivement. Nous en profitons pour décharger nos affaires et planter nos tentes. Enfin, je dis « nous ». Le concept de collectivité n’est perceptible dans notre petit groupe que lorsque nous petit déjeunons, déjeunons ou dînons ensemble. Mais les aspects logistiques de notre aventure m’incombent. À moi. C’est donc à la première personne et singulièrement esseulé que je prépare le camp de base. Pendant que les donzelles cherchent avec difficulté à s’octroyer quelques rares et néanmoins bronzants moments d’intimité avec l’astre chaud qui va et qui vient selon son humeur du moment.

Je me trouve sympa. Je pourrais les impliquer davantage dans les corvées d’installation. Si je ne le fais pas c’est parce que je souhaite préserver la résistance de mes filles. Les brosser dans le sens du poil tant qu’elles acceptent de dormir dans la froide humidité d’une demeure de 2 mètres carré au sol et de se nourrir de pâtes à moitié cuites et totalement fades, ingurgités le cul dans l’herbe mouillé.
Leur épargner les astreintes d’une existence de viking est la meilleure façon de me garantir une semaine entière de baroudage sans rechignage.
Pourtant mes efforts ne paient pas. Le temps tardant à s’améliorer, notre séjour au camping de Seydisfjordur ne dure que 2 heures. Mes filles ne sont guère tentées par une 3e nuit dans le froid. Nous remballons. Enfin, JE remballe.

Sans vraiment savoir où nous passerons la nuit, nous partons dîner dans un petit restaurant vraiment chaleureux. Les murs sont recouverts de photos et d’affiches. Livres et crayons de couleurs sont à la disposition des clients. Les pizzas sont « maison », les hamburgers végétariens et les tables partagées. Mais plus que toute autre considération culinaire ou esthétique, c’est l’accès à Internet qui remporte l’adhésion totale de Louise et Garance.

tour d'islande

Nous nous installons devant une grande table en bois occupée par un jeune Français en provenance de Nantes. Et qui sera rejoint peu de temps après nous par 3 parisiens et 1 parisienne, qui prennent place juste en face de lui. J’ai définitivement cessé d’espérer pouvoir m’isoler de mes compatriotes.

La conversation franciliano-chouanaise s’engage. J’écoute d’une oreille distraite tout en admirant les jolis dessins de mes filles.Les Français sont décidément prévisibles. Les 3 sujets immédiatement abordés sont invariablement les mêmes. Le temps qu’il fait et la provenance géographique des uns et des autres sont le préambule courtois et nécessaire à l’évocation DU thème important : « …et tu fais quoi dans la vie ? ».
À l’opposé des Islandais, qui se contrefoutent du statut social de leurs congénères et pour lesquels l’activité professionnelle n’a d’intérêt que parce qu’elle constitue un potentiel de différentiation et donc d’intérêt supplémentaire, les Gaulois se jaugent à l’aune de leurs comptes en banque respectifs.
Je caricature un chouïa.
Dans ce village entouré de montagnes, bercé par le bruit de l’eau et perdue au fin fond d’un fjord au bout du monde, j’entends mes voisins réciter leur curriculum vitae. Étant passablement plus âgé, accaparé par mes filles et heureusement assis à l’extrémité opposée de l’immense table, je ne suscite pas la curiosité de mes compatriotes et ne suis donc pas interrogé.

Nous quitterons le lieu après avoir salué nos convives, qui paraissaient déjà moins prolixes une fois leurs états de services affichés et après que notre hôte nous ait indiqué l’adresse d’une auberge de jeunesse. Nous montons en gamme. Après la berge, l’auberge.

Après le tétraèdre mou et perméable, nous préférons l’hexaèdre dur et confortable.

Le masochisme a ses limites que mes filles ont rapidement délimitées. Ma dernière expérience de cette forme d’hébergement remonte au début des années 80. À l’époque, c’est un tour d’Europe effectué grâce à la carte Interail (existe-t-elle encore ?), qui m’avait permis de découvrir les nombreuses opportunités de rencontres féminines qu’offraient ces auberges, dans les grandes villes que nous avions traversées avec mon pote Etienne. Un périple qui nous avait conduit jusqu’en Roumanie, à l’époque où cette triste face de pet de Ceaucescu, régnait encore en dictateur sur l’ancienne République socialiste.
Je m’égare.
Tout cela pour dire que dans mon souvenir, ces lieux parfaitement adaptés à la découverte nocturne de l’autre sexe, et majoritairement fréquentés par les jeunes voyageurs, n’étaient pas en revanche d’une irréprochable propreté.
Il semble donc qu’en l’espace de presque 30 ans, outre la représentativité générationnelle, la chasse aux traces fines, sombres et néanmoins nombreuses de la pilosité pubienne internationale, ait fait d’immenses progrès. Car notre auberge à nous, ici, n’a rien à envier au plus bel hôtel alentour.

Cette nuit, pour la première fois depuis notre départ, nous dormirons confortablement dans une chambre rien que pour nous.

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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10 comments

  1. Vous avez parfaitement raison : n’en parlons plus !
    Au plaisir de vous recroiser sur une île au bout du monde.

  2. Effectivement, je me suis mal exprimé. Je ne suis pas froissé, et je réitère mes compliments concernant certaines de vos photos, je ne vois pas bien l’intérêt que j’aurais à vous lécher les bottes (ah si, c’est vrai « l’intérêt subit et vif »… les temps ne sont pas si durs dans mon domaine soyez rassuré). D’autant que je partage pour une grande partie l’analyse que vous faites des français en vacances (raison de mon voyage en solitaire et à distance de ceux-ci sauf présentation d’une carte de visite susceptible de m’intéresser directement bien sûr, vous l’avez constaté).
    Oh et puis si. Peut-être ai-je été un peu froissé finalement, de voir mes efforts pour ne pas être un trop gros lourdaud si vite balayés. Mais si vous me dites que tout ça ne me concernait pas, je suis rassuré.
    Pour terminer avec cette histoire de graphiste / pas graphiste, si votre statut de chef d’entreprise m’avait tant intéressé que ça, pensez bien que je vous aurais contacté beaucoup plus tôt et sous une autre forme.
    Je précise que j’écris tout ça avec le sourire et sans amertume aucune.
    J’arrête de polluer votre blog.
    Cordialement

  3. Cher jeanjean,

    curieux message que le vôtre; à géométrie variable me semble-t-il.
    Vous dissimulez votre dépit par quelques flatteries ?

    Je m’autorise à vous répondre :

    D’abord, je me souviens effectivement de notre rencontre Myvatnesque; mais dans mon souvenir à moi, je vous abordais pour vous réclamer l’adresse du blog sur lequel vous comptiez publier des photos de votre voyage.

    Je me rappelle aussi vous avoir proposé la mienne et avoir répondu à l’une de vos questions relatives à notre séjour ici, en expliquant que j’avais créé une agence de communication spécialisée, en France.
    Mais graphiste, dites-vous ? Cela en ferait rigoler plus d’un au regard de mes talents de maquettiste.

    En revanche, j’ai quant à moi le souvenir d’avoir éveillé chez vous un subit et vif intérêt en vous apprenant que nous faisions du multimédia; vous en souvenez-vous ? J’ai ainsi appris que vous étiez vous-même « web designer ». C’est bien cela ?

    Mais qu’importe, il est toujours drôle de lire le récit d’un échange à travers la plume d’un autre.

    Pour tout vous dire, lorsque j’ai rédigé ce passage, je pensais aux 4 personnes qui se sont installées avec vous. Pas à vous. De mémoire, c’est la jeune femme qui avait lancé le sujet du « CV ». Et il m’avait semblé que cette conversation vous gonflait prodigieusement. Je confesse même avoir trouvé très sympathiques vos courageux efforts pour manifester votre intérêt.

    Bref.
    Je fait part sur ce blog de la façon dont je vois certains événements ou certaines personnes que pour la plupart je ne connais pas.
    Le plus souvent, je tente de le faire avec humour. J’ai bien dit je tente.
    Je critique, je me moque, j’expose mes points de vue, mais je ne juge pas.

    Désolé de vous avoir froissé. Encore une fois vous ne m’aviez pas semblé être un « lourdaud compatriote ».

    Comme disait Pierre Desproges : on peut rire de tout mais pas avec tout le monde.

    Je trouve ça bien dommage.

    Bonne continuation

  4. Sympa votre blog, et votre descritpion du français désespérément soucieux d’étaler son CV me rappelle le jour ou vous m’aviez abordé sur le parking du camping de Reykjalid (moi le lourdaud compatriote) m’expliquant sans vous faire prier votre position de Graphiste expatrié…
    En tout cas, c’est toujours drôle de revoir des lieux à travers les yeux d’un autre, d’autant que certaines de vos retouches sont vraiment sympas.

  5. Un blog qui donne très envie de découvrir l’islande. Merci

  6. Sympa ce petit tour d’Islande , quel plaisir de retrouver cette ambiance particulière , j’espère bien y retourner un jour pour la visite du landlamalaugar!

  7. Elles sont parfaites chère Céline.
    Je vous recommande toutefois de réserver quelques jours à l’avance.
    Allez faire un tour sur http://www.hostel.is pour en savoir un peu plus.

  8. Je decouvre votre blog avec interet, d’autant plus que nous avons enfin reserve nos billets d avion pour Reykjavik. Pourriez vous m’en dire un peu plus sur les auberges de jeunesse? elles n’ont pas l’air trop mal d apres ce que j’ai cru comprendre de votre article…

  9. Salut Ami Islandais

    Quel périple! Une expérience inoubliable 🙂
    Les paysages ont un petit côté scottish qui ne me laisse pas indifférent 😉

    Bonne route

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