Tricheur thermique !

Il y a un peu plus d’un an, lorsque nous sommes arrivés ici, j’ai eu un peu de mal à m’y faire.
A la nuit, au vent, à la pluie… mais surtout au froid.
Parce que bon, j’ai beau la ramener depuis mon île, avec mes

« ouais c’est top, je m’éclate, c’est le bonheur brut, youkaïdi, youkaïda »

mais quand il caille, il caille, n’est-ce pas ? En dépit de l’indéniable beauté sauvage de ce pays, que je ne connais d’ailleurs qu’assez partiellement, mes lointaines origines espagnoles auraient dû me conduire vers des régions mieux pourvues en degrés centigrades.
Solution ? J’ai fait l’acquisition d’un thermomètre gradué en degrés Fahrenheit. Ben ouais ! Quand il fait 0° Celsius, je reste de longues minutes, songeur, devant les 32° Fahrenheit qu’affiche mon thermomètre. À peine éveillé, je m’installe confortablement sur une chaise en face de lui et j’entame ma balade imaginaire. Je perçois alors le village catalan de Collioure par un beau mois d’août, quand la mer ressemble au visage d’une vieille femme, livide et ridée par la Tramontane. Mes yeux comateux s’emplissent de ces vagues recouvrant violemment les rochers, sur la promenade qui longe la côte. J’entends le fracas de ces lames s’écrasant violemment sur le rempart en pierre qui mène au phare ou bien je fixe un rouleau pour voir jusqu’où il ira.

Puis je continue vers la plage des Pêcheurs, dans l’espoir d’apercevoir mon enfance courir sur les galets brûlants, tel un héron sautillant au milieu des catalanes multicolores. Mais lorsque sur cette plage, comme des boules dégoulinantes avachies sous leur ombrelle de papier, les touristes kronembourrés émergent sous leurs parasols, je sais que le songe touche à sa fin. Et quand j’entends les lambadas inaudibles que diffusent en grésillant les transistors, j’en suis certain. Alors, pour m’épargner le souvenir odieux des relents délicats des saucisses et des crèmes solaires je rouvre les yeux. Cette chaude illusion climatique dure peu, mais elle suffit à me faire accepter la réalité obscure et glacée.

La prochaine fois, je tenterai de me remémorer l’odeur forte et iodée des anchois.

bordemer

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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6 comments

  1. belle écriture et toujours cette pointe d’humour ,de dérision …Mais ça fonctionne ,je commençais à sentir la petite brise de la mer et le bruit des vagues 😉

  2. très joli, merci et bravo !

    Gil Mihaely

  3. Mais que c’est bien écrit, cette évocation de Collioure et du thermomètre, du froid islandais et de l’interaction entre rêve et réalité !

    Merci. Magnifique.

  4. Bonjour Ami Islandais,

    C’est que ça commence à cailler aussi par ici 🙂

    Quelle est ce joli paisible petit port en photo?

  5. Pour sûr… elle est bien loin la petite plage de Collioure 🙂 Mais quelle splendeur que l’écume blanche et glacée caressant le sable noir de la plage de Dyrholaey… L’hiver venu, on y cueille des cristaux de glace comme autant de bijoux échoués…

    Vos textes sont délicieux…

  6. Bonjour! pas mal le coup du thermomètre! 🙂 Cela m’a fait rire. Moi aussi quand je suis en ville, parfois je ferme les yeux, (rassurez-vous, pas quand je traverse la route) pour me remémorer les montagnes, le bruit de l’eau des torrents et le chant des oiseaux. Mais mes montagnes sont nettement moins éloignées que la Catalogne de l’Islande. C’est vrai que c’est un peu étrange de choisir un pays si froid pour s’y installer… mais quand on connaît l’odeur de la crème solaire, on comprend mieux le choix. L’Islande ou alors la Norvège… Ah quand j’ai acheté un beau livre sur la Norvège pour l’anniversaire de mon père, j’ai feuilleté nombre de fois le livre avant de l’emballer. Les photos des couchers de soleil sur les îles Lofoten m’avaient enivrée. Et puis on est parti visiter un bout de Norvège et j’aimerais tellement y retourner et mes parents sont aussi allés en Islande. En 2003 au moment où l’Europe continentale subissait la canicule. Je recevais des textos qui me disait que dans la capitale islandaise il faisait 15 degrés.
    Et ça ne devait pas sentir la crème solaire. 🙂 Bises

    P.S.: vous n’aimez pas la Kronenbourg avec une bonne pizza aux anchois? :-))

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