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© mbl.is / Kristinn Ingvarsson

ça s’est passé en avril

Le 27 avril, les Islandais ont voté, et les résultats, s’ils sont conformes aux prévisions, surprennent plus d’un commentateur étranger. Aftenposten (Norvège) résume brutalement cette surprise : « les Islandais donnent une seconde chance aux partis qui les ont conduits à la faillite ».

Voyons d’abord ces résultats :

Résultats Législatives 2013

A quoi il convient d’ajouter que les partis qui n’ont pas franchi la barre des 5% ont recueilli ensemble 11.7% des suffrages exprimés. Autre constat important : l’abstention a atteint 18.6%, du jamais vu en Islande (2009 = 14.9%), avec à Reykjavik un taux supérieur à 20%. C’est donc clairement une déroute des deux partis au gouvernement depuis janvier 2009 et un succès du Parti du Progrès et de l’Avenir Radieux. Et dans la foulée un renouvellement exceptionnel de l’Alþingi : 27 nouveaux députés (15 hommes, 12 femmes). Cette déroute était annoncée depuis de nombreux mois ; ce qui l’était moins était le succès du Parti du Progrès, qui atteint son plus haut niveau depuis sa création en 1916 en tant que parti agrarien.

Les Islandais sont-ils aveugles au point de vouloir revenir cinq ans en arrière ?

Certainement non. C’est pourquoi il est intéressant d’analyser l’énorme repli des deux partis au pouvoir, d’une part, et, d’autre part comment le vide ainsi laissé a été rempli non seulement par les deux partis d’opposition mais aussi par de nouveaux partis qui au total ont recueilli 25% des voix.

La déroute des partis au pouvoir : A l’instar de la plupart des observateurs, islandais ou étrangers, je n’ai pas été avare en commentaires élogieux sur la sortie de crise de l’Islande, bien plus rapide que prévu. Elle a certes été accompagnée de sacrifices importants ; mais suffisent-ils à eux seuls à expliquer une déroute comme celle de l’Alliance Social-démocrate, jamais connue dans l’histoire politique islandaise ?

Revenons à l’hiver 2008-2009 : les Islandais sont KO debout, humiliés par les réactions de leurs partenaires traditionnels lorsqu’ils les appellent à l’aide. Le gouvernement de Geir Haarde prend des mesures en urgence, telles la mise en faillite des trois plus grandes banques et l’instauration d’un contrôle des changes drastique. Après avoir beaucoup hésité, il est contraint de demander l’aide du FMI, et pour l’obtenir doit s’engager à négocier le remboursement des indemnités versées par les gouvernements britannique et néerlandais aux clients de la banque en ligne Icesave, agence de Landsbanki, l’une des trois banques en faillite. Dehors, des manifestants toujours plus nombreux réclament chaque samedi le départ de son gouvernement, un changement radical de politique, et une réforme des institutions afin d’être mieux entendus. A Bessastaðir, Olafur Ragnar Grimssonle Président Ólafur Ragnar Grímsson est à la manoeuvre. La neutralité du Parti du Progrès permet la mise en place d’un gouvernement provisoire associant l’Alliance Social-démocrate, qui parvient à faire oublier son appartenance au gouvernement de Geir Haarde, et la Gauche Verte. Cette nouvelle coalition, dirigée par une Jóhanna Sigurðardóttir très respectée pour son ouverture sociale, n’a pas besoin de faire beaucoup de promesses pour générer d’énormes attentes. Jóhanna saisit l’occasion pour mettre l’adhésion à l’UE au coeur du débat politique et impose à son allié, qui pourtant n’en veut pas, l’ouverture de négociations visant à l’adhésion à l’UE. Celui-ci accepte parce qu’un référendum permettra aux Islandais de se prononcer le moment venu.

La déception apparaît très tôt. Voici en effet que ce gouvernement de gauche poursuit à la virgule près (mais pouvait-il en février 2009 faire autrement ?) la politique engagée par son prédécesseur, en liaison étroite avec le FMI, pourtant vilipendé en octobre de 2008 par Steingrímur Sigfússon, Président de la Gauche Verte et numéro 1bis du nouveau gouvernement. Pire : Steingrímur accepte en juin 2009 à propos de Icesave un accord si peu avantageux qu’il tente d’en cacher le détail. Il est en fait persuadé qu’il faut, quel qu’en soit le prix, se débarrasser de ce problème qui risque de gêner la relance de l’économie. L’avenir montrera combien il avait raison !

L’opposition s’engouffre dans la brèche et crée une véritable psychose : « l’Union Européenne ne nous veut qu’à genoux et affamés ». Cet accord Icesave, indispensable pour la restauration du crédit de l’Islande sur les marchés financiers, et qui, même mal négocié, ne peut être la catastrophe annoncée, devient la croix que le gouvernement devra porter jusqu’à la fin. L'austérité est certes au rendez-vous, ainsi que le chômage et les hausses d’impôts. De plus, le gouvernement, empêtré dans des contraintes juridiques, met beaucoup de temps à trouver des solutions au problème des ménages qui se sont imprudemment endettés en devises avant la crise et la dévaluation de la monnaie. Car ces solutions dépendent de banques qui sont elles-mêmes en cours de reconstruction. Par ailleurs, pour respecter ses engagements, le gouvernement s’engage dans des projets ambitieux alors qu’il a perdu l’autorité nécessaire pour les conduire à terme : réforme de la politique des quotas de pêche, réforme des institutions, adhésion à l’UE ; tous sujets sur lesquels, en dépit du contrat de législature, les deux partis sont en désaccord ; où, qui plus est, la Gauche Verte expose sans cesse ses propres divisions internes. Et peut-être est-ce là le pire : ces Islandais à qui on demande de gros sacrifices et qui vont les accepter sans protester, supportent mal l’étalage public d’incessantes divergences. De plus ils trouvent bien lente la traduction dans leur vie quotidienne de ces indicateurs macro-économiques qu’on leur présente triomphalement. A noter aussi que les 6 députés de l’ »Avenir Radieux » ont dû prendre de précieuses voix à l’Alliance.

Sigmundur D. Gunnlaugsson & B. Benediktsson
Sigmundur D. Gunnlaugsson & B. Benediktsson

C’est un cruel échec pour Jóhanna Sigurðardóttir, au moment où elle se retire d’une vie politique bien remplie. Mais cette femme de dossier, piètre communicante, était-elle la femme de la situation ? Un peu d’élégance toutefois : lorsqu’elle quitte son bureau pour la dernière fois, après 35 ans de vie parlementaire, plusieurs centaines de personnes, surtout des femmes, l’attendent pour lui offrir des roses… Et les vainqueurs ? Est-ce volontaire ? Tout se passe sur la photo ci-contre comme si Bjarni Benediktsson, Président du Parti de l’Indépendance (à droite sur la photo), voulait désigner lui-même le véritable vainqueur de ce scrutin : Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Président du Parti du Progrès. Car il est clair que le Parti de l’Indépendance n’a pas gagné ; il a même été très proche d’une sévère défaite. Avec 19 députés, il ne reprend que trois des neuf sièges perdus en 2009, alors qu’en milieu de législature il était crédité de 40% des suffrages ! Ici encore un retour en arrière s’impose. Pour faciliter la création d’un gouvernement minoritaire, fin janvier 2009, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, qui, alors âgé de 33 ans, vient juste de prendre la présidence d’un parti jugé moribond, accepte que « ses » députés restent neutres pendant les trois mois précédant les élections. Il a le souci de mieux implanter à Reykjavík son parti, né agrarien, et, pour cela, ne pas laisser au seul Mouvement des Citoyens la représentation des personnes ayant manifesté devant le Parlement. C’est à lui que revient l’idée de l’Assemblée Constituante, dont la création est l’une des conditions à la neutralité de son parti. Mais très vite il semble se ranger à l’ombre du Parti de l’Indépendance et faire cause commune avec lui dans une opposition sans concessions au gouvernement, au point même d’abandonner l’idée de réforme constitutionnelle. Sa seule originalité est une opposition sans nuance à tous les accords Icesave, alors que le Parti de l’Indépendance se divise sur le dernier des trois accords.

Dès 2010, le vide créé par la perte d’influence des deux partis au pouvoir est comblé de deux manières : un retour au Parti de l’Indépendance et la tentation de voies nouvelles. Le retour au Parti de l’Indépendance est jugé si normal par ses dirigeants qu’ils ne se soucient guère de réviser la parole du parti, sinon en lui donnant un tour plus anti-UE, alors qu’on les sait divisés sur ce sujet.

La recherche de voies nouvelles se manifeste de diverses manières :

  • aux élections locales de 2010, succès du « Meilleur Parti » de Jón Gnarr, qui va le conduire à la Mairie de Reykjavík, et de listes « apolitiques » dans d’autres villes,
  • rapide montée en puissance du nouveau parti « Avenir Radieux » co-fondé par Heiða Helgadóttir, ancienne directrice de campagne de Jón Gnarr, et Guðmundur Steingrímsson, député transfuge du Parti du Progrès, et un temps crédité de plus de 15% des intentions de vote,
  • création d’un nombre jamais vu de nouveaux partis, suscitant à chaque fois un fort intérêt desélecteurs, avant de retomber comme un soufflé.

A ces voies nouvelles on peut ajouter la réforme constitutionnelle, à propos de laquelle 50% des électeurs se déplacent pour un référendum techniquement difficile, et qu’approuvent les 2/3 des votants. Paradoxalement, la réélection pour un cinquième mandat du Président Ólafur Ragnar peut elle aussi être rangée parmi ces voies nouvelles en ce qu’elle conforte le choix comme chef d’état d’un homme politique qui ne cache pas ses engagements, notamment en matière de politique étrangère, contre des personnalités s’affirmant apolitiques. Par contre, bien qu’avec 14.8% des voix il ait gagné 2 sièges en 2009, le Parti du Progrès ne semble pas en mesure de dépasser ce résultat.

Alors qu’en fin d’année le décor semble planté, l’emballage final apporte des surprises de taille :

  • toujours soucieux d’élargir sa base électorale, Sigmundur Davíð annonce son intention s’il est au pouvoir de réduire la dette des ménages et supprimer l’indexation des emprunts, tout en précisant que cela ne coûtera rien à l’Etat ; l’accueil est d’abord sceptique,
  • mais le barrage s’ouvre grand lorsqu’en janvier 2013, contre toute attente, la Cour de Justice de l’AELE donne raison à l’Islande dans le contentieux Icesave. Seul dirigeant politique à s’être toujours opposé au compromis, Sigmundur Davíð, porté par le nationalisme ombrageux de bon nombre de ses concitoyens, devient tout à coup un héros crédible,
  • on assiste alors, en quelques jours, à un véritable déferlement des voix du Parti de l’Indépendance vers le Parti du Progrès. L’un dépasse 30% quand l’autre tombe en dessous de son niveau de 2009, au point que Bjarni Benediktsson s’interroge publiquement sur sa légitimité à la tête de son parti !
  • simultanément l’ « Avenir Radieux », qui affirme crânement des positions proches de celles de l’Alliance Social-démocrate, notamment pour ce qui concerne l’UE, perd lui aussi du terrain, alors que le Parti des Pirates franchit (toujours selon les sondages !) la barre des 5%, ainsi que le parti « Dögun » (Aurore…), avatar du Mouvement…
  • Sigmundur Davíð, qui ne s’attendait certainement pas à être si bien pris au mot, a du mal à expliquer son plan de résorption des dettes. Résultat : bon nombre d’électeurs retournent vers le Parti de l’Indépendance, qui au final devance son concurrent d’une courte tête.

Est-ce vraiment un « retour à la maison » ? Un retour à l’avant-crise ?

Plusieurs remarques à ce propos :

1° les  ne représentent à eux deux qu’un peu plus de la majorité des suffrages ; le reste est occupé à 50/50 par les deux partis au pouvoir et par les nombreux nouveaux partis, dont un, l’ « Avenir Radieux », fait une percée suffisante pour n’être pas éphémère. Si on y joint les nouveaux abstentionnistes, ce sont près de 30% des électeurs qui demandent une autre offre politique,

2° le Parti de l’Indépendance a dû constater qu’il ne lui suffit plus d’être présent pour que les électeurs déçus « reviennent à la maison », selon l’expression locale ; il devra faire un gros travail sur lui-même pour reprendre la place qu’il a occupée depuis les années 30 ; Bjarni jouit-il d’une autorité suffisante pour y parvenir ?

3° le Parti du Progrès n’était pas au gouvernement en 2008 ; il en avait été écarté à la suite des élections de 2007 par Geir Haarde, inquiet de sa dérive ultra-libérale, au bénéfice de l’Alliance Social-démocrate. Mais le Parti du Progrès de 2013 a certainement peu en commun avec celui de 2007 ; de son programme on ne connaît pour l’heure que les discours volontiers populistes et nationalistes de son président. Il n’a, par exemple, jamais expliqué comment l’Islande aurait pu sortir de l’ornière sans recours aux marchés financiers internationaux et donc au FMI ?

4° et, comme nous ne sommes plus à un paradoxe près, il est bien possible que le plus vieux parti d’Islande, longtemps celui des paysans, représente avec la jeunesse de son nouveau président et ses positions nationalistes, concrétisées par son refus de tout accord Icesave, donc de tout compromis avec les banques, une autre de ses nouvelles voies évoquées plus haut ! Quels seront les choix de Sigmundur Davíð s’il devient Premier Ministre ? Saura-t-il faire du neuf avec l’ancien ?

Quels qu’ils soient, les nouveaux dirigeants sont attendus sur le problème de l’endettement des ménages, mis au coeur de la campagne électorale de manière peut-être imprudente. Mais des choix difficiles les attendent, notamment à propos de la négociation en cours avec l’UE, à laquelle les deux anciens partis sont officiellement hostiles, mais partagés sur l’opportunité d’organiser un référendum à ce propos. Derrière la question de l’adhésion à l’UE, se pose celle de la monnaie. Pour les deux partis, l’affaire est entendue : ils ne veulent pas de l’euro. Mais est-ce si simple ? Comment pourront-ils gérer la levée du contrôle des changes avec une monnaie qu’il faut périodiquement soutenir ? Et la réforme constitutionnelle ? demanderont ceux, nombreux en dehors en l’Islande, que ce projet avait intéressés !

J’ai le mois dernier évoqué ce marchandage peu glorieux qui, en allégeant la procédure de révision, permettrait le cas échéant de réanimer le projet. Les nouveaux gouvernants le voudront-ils ? Ils ne sauraient oublier que même en Islande la demande de changement institutionnel reste forte et sera représentée à l’Alþingi par l’Alliance, l’Avenir Radieux, le Parti Pirate et une partie de la Gauche Verte. Soit au moins 1/3 des députés qui auront certainement à coeur de rappeler à Sigmundur Davíð, s’il devient premier ministre, ses engagements de jeune président de parti…

Parti Pirate ?

Piratar_logoIl s’agit d’un mouvement international né en Suède et très proche des idées de Julian Aussange et Wikileaks sur la transparence de l’information et l’accès aux droits. Ses trois députés islandais sont les premiers « pirates » à aborder un parlement national. Ils le doivent à l’inlassable engagement de leur « kapteinn » Birgitta Jónsdóttir, ancien député du Mouvement, et militante efficace de toutes les causes radicales. Relations extérieures Si évidemment les élections législatives ont dominé l’actualité, le voyage officiel de Jóhanna Sigurðardóttir en Chine, du 15 au 18 avril, ne saurait être passé sous silence. L’objectif était la signature officielle d’un accord de libre-échange en négociation depuis près de 6 ans. Cet accord est le premier signé entre la Chine et un pays européen. Pour les Islandais, c’est un accès sans barrières douanières à un immense marché pour ses produits de la pêche. La coopération sur les services et la recherche en matière de géothermie sera elle aussi développée. Bien évidemment, l’objectif de la Chine est bien plus géostratégique que commercial ; celui de l’Islande aussi, qui a intérêt à multiplier les « amitiés ». Geste politique ? Jóhanna a fait ce voyage accompagnée de son épouse Jónína Leósdóttir.

Et pendant ce temps la vie continue…

11.04 – à Hvollsvöllur (sud de l’île- N1) la moitié des excès de vitesse est le fait de touristes étrangers,

17.04 – Jón Gnarr se dit un maire heureux : sur ses 120000 habitants, Reykjavík compte 13000 étrangers venus de 130 pays différents,

20.04 – 8730 personnes ont changé de nom en 2012 ; dans la plupart des cas il s’agissait d’ajouter le patronyme de la mère à celui du père. Toutefois, afin de respecter la longueur maximale, fixée à 34 lettres, certain(e)s doivent se limiter à ajouter une initiale. Il ne faut pas faire d’erreur, un tel changement n’est possible qu’une fois !

23.04 – 13 Bretons ont participé au championnat du monde de lutte celtique, organisé à Reykjavík ; la presse bretonne ne dit rien du résultat…

24.04 – la Cour Suprême ordonne sous astreinte au représentant en Islande de Visa et MasterCard, qui bloquent depuis 2010 les avoirs de Wikileaks de rouvrir le portail des donations ; elle est la première au monde.

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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