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Ma tête de lard aux champignons

Je suis une tête de lard d’expat et mon mari est peintre en bâtiment.

Ces deux faits ne sont en aucune façon liés et pourtant ils sont la cause de plusieurs de nos désaccords conjugaux. Lorsque nous avons acheté notre premier appartement, la mode en Islande consistait à peindre avec une brosse spéciale un mur du salon d’une couleur soutenue. Cela donnait une surface qui semblait vivante avec ses différences de textures et de mouvements ton-sur-ton. Armée d’une dizaine de magazines de décoration anglais, je rêvais mon intérieur à mon image, autrement dit assez bariolé; à mi-chemin entre le style bohème romantique et celui peu apprécié du service création/réhabilitation de l’hôpital psychiatrique. Mon époux ayant peint les intérieurs d’un certain nombre de villas et autres chalets de stars, il insistait pour un mur bleu canard tout en coups de brosses. Je n’aime pas le bleu canard; alors le mur restait désespérément blafard.

Frustrée par ce statu quo et persuadée que mon originalité recevrait l’admiration qu’elle méritait si je partageais mes idées avec mes collègues, je profitai un jour de la pause déjeuner pour leur sortir mes magazines anglais et exposer ma vision de mon chez moi. Et c’est à cette occasion que la phrase assassine fut prononcée :

Tu sais, ce genre de déco tu vas vite t’en lasser!

Mais enfin ! explosai-je, est-ce que tu es dans ma tête ? Comment sais-tu ce qui va me lasser et ce qui ne me lassera pas ? Tu ne connais pas mes goûts, tu ne sais pas ce que j’aime ! Et puis, qui est la plupart du temps à la maison ? Hein ? Qui est celle qui sera assise le soir à regarder ce mur qu’elle déteste ? Hein ? C’est toi ? NON ! Alors ne me dis pas ce qui me plaît parce que c’est pas toi qui vit chez moi !

Le plus déstabilisant dans l’histoire c’est qu’à l’écoute de mes arguments, ma collègue fut prise d’un fou-rire terrible qui ne la quitta qu’une heure plus tard. Jamais, d’histoire de femmes islandaises la couleur des murs n’avait suscitée une telle passion. En fait, l’islandais a un peu tendance à donner son avis même si on ne lui demande pas, c’est ainsi que mon ancien frigo est entré dans la légende… à Selfoss (4000 habitants). J’vous raconterai plus tard ! J’en étais où ? Ah oui, l’islandais… Plutôt l’islandaise d’ailleurs ! C’est elle qui va te dire que ton parfum ne te va pas ; qu’à ta fête d’anniversaire elle a été déçue par ta tenue, trop simple pour l’occasion ; que ton gâteau n’est pas comme elle le fait elle (mais sa recette est un secret de famille) ; que tes gosses sont tellement bien élevés, que c’en est flippant ; que tu devrais te refaire une teinture parce que là tes racines blanches c’est la déprime et que tu devrais faire du sport… Ici, une conversation est souvent interrompue par la question d’un nouvel arrivant : « de quoi vous parlez ? » En bonne française je répliquais le plus souvent : « mais de quoi je me mêle ? »

expatAvec le temps, on apprend  juste à répondre et à accepter la contribution de chacun : « tu devrais faire comme ça » … « appelle machine elle saura te conseiller »… « Bon, le mieux, pour toi c’est de… » « De toute manière tu n’aimes pas les champignons ! » Même si on a déjà la solution, et qu’on aime les champignons (ben oui, qui a déclaré que j’aimais pas les champignons ?) on reçoit une collecte de suggestions maison, ainsi tout le monde peut ajouter son grain de sel et contribuer à améliorer (ou pas) la vie de quelqu’un. En fait, je pense que notre présence d’expatrié, en leur rappelant sans cesse que nous venons de métropoles où la mode est inventée et la gastronomie est sans cesse recréée, les place dans la position délicate d’hôte instructeur souffrant d’un complexe d’infériorité affligeant. D’où ce besoin de donner à tout bout de champ conseils et avis en pagaille. Mais attention à ne pas se méprendre sur mes mots : les islandais partagent leurs opinions aussi entre eux, c’est juste que en tant qu’étrangère, j’ai eu droit à du rabe. Longtemps, je répondais à ce que je considérais comme une attaque contre ma personne avec l’imparable :  » En France, il est de tradition de… » Aujourd’hui, ayant acquis plus de maturité je réplique que nous sommes bien chanceux car n’ayant pas la même culture nous pouvons apprendre les uns des autres. Non, j´rigole, en général je réponds que je m’en fous !! La grande qualité des islandais c’est leur souplesse d’esprit, ils paraissent conservateurs et un chouilla passéistes mais je vais vous dévoiler un secret : ce sont de joyeux farfadingues curieux de tout, la main sur le cœur et d’une serviabilité à toute épreuve.

Alors, on fait avec et on finit ses champignons !

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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