Chronique : In urinae veritas

Je suis une grande utilisatrice des toilettes publiques.

Je ne crains pas les mauvaises odeurs parce que j’y suis plus ou moins immunisée. Vous comprenez dans mon boulot, j’accompagne des personnes aux lieux d’aisance et croyez moi, j’en change des couches. Tant que ça sort d’un nez, je suis solide, blindée. En revanche, je suis sensible à l’idée d’être exposée aux armes biologiques que sont les virus, germes et autres streptocoques qui raffolent de la promiscuité des WC publics. Pour vous dire la vérité, je revois ma vie défiler dès que je pénètre dans cet espace peu ragoûtant. Le phénomène est lié à un moment important de mon enfance. En décembre 1980, j’ai fait pipi dans les commodités d’un routier de l’autoroute A1 et gagnée une hépatite A en cadeau Bonux. En pleine période de Noël, la punition fut sévère :  ni gras, ni oeufs, ni gâteau, ni sauce, ni chocolat. Vaisselle lavée à part, interdiction de jouer à l’extérieur et ce, l’année que le père Noël avait choisie pour nous apporter un cheval et la neige en cerise sur le cadeau !

En dépit du traumatisme, je reste une utilisatrice assidue des toilettes publiques et privées. Tenez, je me souviens avoir longuement hésité en contemplant le trône le plus souillé que j’avais jamais vu dans un appart islandais transformé en squat d’un soir; avant de préférer finalement le risque d’occlusion intestinale. J’ai fait aussi la queue aux latrines pour femmes du souk de Jerusalem pour me retrouver baignant dans l’eau de javel. Et puis j’ai été confrontée à nombre de trous noirs dans les toilettes turques des bistros français, j’ai patienté avant de ré-utiliser les vatères d’un vol Paris-Reykjavik (vous aussi ça vous fait ça les vibrations ?), le désert des hautes-terres d’Islande a été quelque peu souillé par mon passage et j’ai pataugé à contre courant dans le Styx ammoniaqué du centre commercial de la Défense. Un périple scatologique vous dis-je !

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J’ai enfin refusé d’entrer dans des toilettes qui me semblaient néfastes à l’environnement. Je nommerais à l’occasion les chiottes chimiques déposées en 2010 à Dimmuborgir, près du lac de Myvatn, le seul été où il y a fait 40°c (non j’exagère il y fait souvent très beau !). L’odeur était telle après le passage de cinq cars de touristes, que plus nous approchions plus nous étions persuadés qu’ils avaient oublié un de leur copains et qu’un cadavre en état de décomposition était caché derrière une des dix portes. Á l’ouverture de chacune d’elles, à défaut de les empêcher de respirer, je disais aux enfants de fermer les yeux, histoire de leur éviter des années de thérapie. Rien qu’en entendant le bruit des mouches, l’envie de faire pipi de ma fille avait subrepticement disparu. Le tourisme en Islande s’est tellement développé qu’il faut créer des lieux d’aisance au sein d’une nature vierge qui s’en serait bien passée : ça gâche la vue et ce n’est ni facile d’entretien ni rentable. D’un autre côté, ces lieux de beauté éblouissante sont pour la plupart liés à des chutes d’eau, et l’eau qui coule ça influe vachement sur les vessies des voyageurs appartenant en général aux clubs du troisième âge de la république allemande. Bon, je vous parle là des toilettes chimiques qui sont posées l’été pour contenter les exigences des voyagistes parce que sinon on peut dire que d’une manière générale les campings de l’île sont super bien entretenus. En 2012 par exemple, nous avons participé à un Jamboree international des scouts du monde. C’était à Úlfljótsvatn (à 30kms de chez moi, dans la région de Þingvellir); 6000 jeunes du monde entier étaient réunis en campements de cowboys pendant 10 jours. Étant maman de scouts, j’étais bénévole aux cuisines. Á chaque fois que je faisais la queue devant les cahutes WC, je me préparais à affronter une vision d’apocalypse post-défécation, me direz-vous ? Et bien pas du tout : mêlez scouts et islandais et vous avez l’hygiène d’un 5 étoiles au rendez-vous. Et je peux vous citer toute une liste de campings à l’hygiène irréprochable !

Tiens, j’y pense là, ce serait peut-être pas bête de faire une appli Android qui serait un guide des toilettes publiques de chaque ville. Comme on a des échelles d’évaluation pour les campings, les hôtels et les restos, on devrait en avoir une pour les toilettes. En fait, il faudrait quand même que les testeurs soient suivis par un centre d’épidémiologie et que leurs vaccins soient à jour, mais à part ça c’est viable comme idée. Tous les centres commerciaux et toutes les stations essence seraient marqués sur Google maps selon le niveau de l’entretien de leur lieux d’aisance. Elle est pas géniale mon idée ?

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Maintenant, imaginez que vous faites 1m58… ça y est ? Imaginez que vous avez besoin d’aller aux toilettes et que justement, les toilettes du fast-food sont libres; ce prétendu « restaurant » où, honteux, vous avez emmenés vos gosses pour les récompenser d’être merveilleux (ben oui, quand un enfant est merveilleux, on peut lui prouver sa reconnaissance en lui offrant un repas qui n’a aucune valeur nutritive et qui aura des effets néfastes sur sa santé). Sur la porte, une silhouette féminine, une silhouette masculine, une silhouette de chaise roulante et la silhouette d’une personne penchée sur un bébé allongé sur une table représentant pour notre esprit occidental un adulte changeant la couche de son enfant. Chez les anthropophages, c’est le pictogramme du repas. Bref, vous ouvrez la porte, et là, dans une pièce immense, où le bruit assourdissant d’un système d’aération vous accueille et où des senteurs étrangement liées à un souvenir d’enfance vous ramène 35 ans en arrière dans un champs de fraises où vous aviez eu mal au ventre, trône le siège des aisances.

Un lavabo, un distributeur de savon, un sèche main soufflant de l’air chaud avec la conviction d’un moteur Rolls Royce de 747 mis au chômage technique par la CGT, un distributeur de serviettes en papier non absorbant, une poubelle dégueulant ses tripes, un miroir, un mur carrelé blanc taggé de déclarations d’indépendance, et de chaque côté du siège des barres destinées à assister les personnes invalides, âgées ou bien bloquées du dos après une soirée lambada pour s’asseoir et se relever.

Les toilettes sont à une hauteur telle qu’il est évident que vous devez vous y hisser et que vos pieds ne toucheront pas terre. La cuvette est légèrement souillée, bariolée de couleurs automnales. Vous décidez donc de vous aider des barres parallèles pour éviter le plus de contact possible. En gymnaste aguerri, vous posez vos avant-bras sur les barres, et telle une pré-adolescente roumaine réduite à gagner les Jeux Olympiques pour faire vivre son village, vous baissez la tête pour vous concentrer et mieux solliciter votre ceinture abdominale (qui après un burger, un coca et une grosse frite a plutôt envie de faire la sieste pour les 20 prochaines années). Votre respiration nasale est bloquée et votre bouche prend le relais. Le temps presse, cela fait déjà 1 minute trente que vous êtes assis sur ce qui pourrait être votre Waterloo. Les jambes se lèvent à angle droit et votre arrière train entreprend de léviter au dessus du trou. Vous souriez « ah j´ai encore de beaux restes! ». Sous l’effort, vos bras tremblent, une légère sueur perle sur votre front. Il ne vous reste plus qu’à pisser mais là, c’est le drame : un de vos vaillant bras vacille et le coude qui lui est attaché ripe. Vous perdez l’équilibre et atterrissez en V dans le trou des toilettes. C’est fini, vous trempez là avachi et humilié. Adieu santé, sanité salutaire, bonjour morbac, strepto, staphilo et e-coli. Et là, votre esprit n’a qu’un « Et merde ! » fort à propos à prononcer suivi d’une série d’images toutes aussi horrifiantes les unes que les autres.

Et puis vous vous souvenez…

Sur la porte, il y a un papier. Sur ce papier, un tableau stipulant les nom des employés assignés au nettoyage ainsi que les jours et heures auxquels ils sont passés nettoyer et désinfecter les toilettes. 12.35 … YES, il est 13.28 !, je suis mouillé et non souillé. HAHAHA, septicémie tu ne m’auras pas ! Rassuré d’être en Islande où à 90% du temps les toilettes sont bien tenues (pour les exceptions, voir plus haut). Vous remontez tant bien que mal et vous vous essuyez du mieux que vous pouvez avant de soulager enfin votre vessie. Une fois votre affaire terminée, vous vous laissez glisser du trône, vous lavez soigneusement les mains, les séchez d’abord sous la soufflerie puis, avec une serviette en papier, puis sur votre pantalon. Vous souriez de votre aventure et sortez des toilettes, la tête haute.

Accueilli par vos chères têtes blondes (brunes dans mon cas, mais on a pas encore changé l’expression depuis Adolph) qui hilares vous demandent : « pourquoi t’as crié ? » Vous vous dites qu’ils sont forts ces islandais…

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2 comments

  1. Bonjour.
    Si je puis vous donner un conseil : un pisse-debout vous permettrait de ne plus vous asseoir sur des chiottes répugnantes pour un simple pipi. C’est un accessoire développé pour les alpinistes en cordée, mais qui est aussi utilisé en rando, camping, voyage, festival et partout où s’asseoir demande un peu d’inconscience.
    Et j’en profite pour glisser ce commentaire à votre article, lu sur un réseau social : « C’est lié à l’hygiène, l’hépatite A. Le virus s’ingère, on l’attrape en touchant (avec ses mains, typiquement), des excréments. Dans des WC publics, le péril, c’est la poignée de porte. »
    Bon courage !

  2. chronique avec plein de vrai dedans ! extra et merci de m’avoir fait rire avec des toilettes, de plus publiques 🙂

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