FRÉTTABLAÐIÐ / VALLI

Islande : ça s’est passé en février

Union Européenne et promesses pré-électorales…

« 5 ans… » : tel était le titre de ma chronique de janvier 2014 pour m’étonner de l’absence de rappel de la « Révolution des Casseroles » ! Or voici que Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères, semble rallumer la mèche : 4500 personnes se réunissent le lundi 24 février devant l’Alþingi, 8000 le samedi suivant, pour protester contre le vote d’une motion autorisant le ministre à retirer la demande d’adhésion de l’Islande à l’Union Européenne ; une pétition est lancée réunissant à ce jour 45.000 signatures.

La demande est, on le sait, d’organiser un référendum sur la reprise ou non des négociations suspendues depuis environ un an à l’initiative de l’ancien gouvernement. Et ceci conformément aux engagements préélectoraux des deux partis vainqueurs. Il y a au moins trois niveaux de lecture des événements actuels, qui chacun révèlent un nombre élevé d’ambiguïtés : l’adhésion ou non à l’UE, la place des citoyens dans le système parlementaire islandais, et enfin la politique politicienne, en l’espèce la relation entre les partis au pouvoir.

islande union européenne

Poursuivre ou non les négociations : même si l’on peut trouver dans le passé des présidents des deux partis au pouvoir des propos favorables à l’adhésion à l’UE, leurs prises de position avant les élections – qu’ils ont gagnées ! – et depuis qu’ils sont au pouvoir sont sans ambiguïtés : les intérêts de l’Islande seront mieux préservés hors de l’UE qu’en son sein. Toutefois, bien que selon les sondages une majorité d’Islandais partagent leur avis, ils souhaitent prendre des précautions : il y aura un rapport, confié à un groupe d’experts, puis un référendum sur la poursuite ou non des négociations. Le choix du groupe d’experts est significatif : il s’agit de l’Institut d’Etudes Economiques de l’Université d’Islande, comme si le problème était essentiellement économique.
Le groupe se met au travail dès la mi-septembre 2013. Mais très vite, on comprend que le contenu du rapport n’aura aucune incidence sur le choix du gouvernement : il n’y aura pas de référendum. Car les sondages montrent qu’il risque de se trouver dans une position embarrassante : la consultation, voulue par 82% des sondés serait positive, obligeant le gouvernement à reprendre une négociation pour un résultat dont il ne veut pas. Qui plus est, depuis quelques mois le souhait d’adhésion est de moins en moins minoritaire … Ceci explique qu’il faut très peu de temps à Gunnar Bragi Sveinsson pour trouver dans les 164 pages du rapport (plus 662 pages d’annexes !) les raisons de déposer sa motion d’arrêt des négociations, et ce avant même que le rapport soit discuté comme prévu à l’Alþingi !
La raison principale est la suivante : selon l’Institut d’Etudes Economiques l’UE refusera de faire des exceptions pour la pêche et l’agriculture islandaises. Ce ne peut être une découverte : la vocation de l’UE est d’intégrer des pays divers et donc de les conduire progressivement vers des règles communes, notamment en matière de concurrence économique ; la seule négociation possible est celle de délais, exceptionnellement de compensations par rapport à des situations très particulières. A cet égard les membres de la majorité et beaucoup d’observateurs sont fondés à dire que le référendum sur l’ouverture de négociations aurait du avoir lieu en 2009, mais le gouvernement d’alors a repoussé toutes les demandes en ce sens. Les opposants trouvent eux aussi des arguments dans le rapport lorsqu’on y regrette de ne pas avoir une vision précise des ajustements qui auraient pu être envisagés.
Coté UE, les négociateurs ont encore répété récemment qu’il y avait des réponses possibles aux demandes Islandaises. Pour les approfondir il fallait conduire la négociation à son terme ! De plus le rapport met en évidence des évolutions dans le fonctionnement de l’UE vers plus de démocratie qui elles aussi répondent à des critiques souvent entendues. Qu’europhobes et europhiles trouvent dans un texte fouillé mais sans surprise des arguments en faveur de leurs positions respectives en montre la qualité. Mais cela montre aussi que l’on peut mettre l’analyse économique au service de toutes les causes lorsque le problème est moins économique que politique. C’est le cas ici : le choix à faire est un choix politique au sens le plus élevé du terme. Or les institutions islandaises rendent difficile l’émergence d’une vraie ambition politique pour une communauté qui ne craint rien plus que la division et la dissolution dans un ensemble plus vaste. L’actualité en cours a au moins le mérite d’apporter un peu de clarté au débat et d’aider les Islandais à découvrir des enjeux qu’ils connaissent finalement très mal.

islande union européenneLe respect des promesses : s’il y a un lien entre ces événements et ceux de l’hiver 2008-2009, il est sur le droit de s’exprimer directement sur les choix importants. Une des préconisations les plus importantes de la Commission constitutionnelle née de la Révolution des Casseroles était le devoir d’organiser un référendum dès lors que 10% des électeurs le demandaient. De leur coté Sigmundur Davíð quand il était dans l’opposition, et plus encore son mentor le Président Ólafur Ragnar Grímsson, avaient souligné l’importance de telles consultations. Ils montrent ici qu’ils ne sont pas prêts à « donner la parole au peuple » sur des sujets où ils se trouveraient contredits ! Les observateurs sont quasi-unanimes : en revenant sur une promesse de référendum par crainte d’un résultat les mettant en contradiction avec l’électorat, les membres du gouvernement semblent montrer qu’ils préfèrent leur portefeuille aux volontés des citoyens. Or on sait combien la classe politique islandaise est peu estimée des électeurs. Même si la crise économique est passée, les manifestations de ce mois montrent que les citoyens restent très vigilants et sensibles au respect et à l’écoute dont ils veulent bénéficier. La majorité au pouvoir, qui fait souvent montre d’arrogance, notamment dans sa composante Parti du Progrès, devrait se souvenir de ce rappel à l’ordre…

islande union européenneLa politique politicienne : l’opposition s’engouffre évidemment dans les contradictions des partis au pouvoir, notamment en critiquant très violemment Bjarni Benediktsson, Président du Parti de l’Indépendance. Car celui-ci est en porte à faux, au gouvernement, et surtout dans son propre parti où la tendance europhile se réveille. Au-delà d’une unité de façade à propos de l’adhésion à l’UE et même si elles ne sont pas exposées publiquement comme l’étaient celles opposant les deux partis de l’ancienne majorité, les divergences entre les deux partis au gouvernement ne sont pas moins réelles, entre des orientations conservatrices traditionnelles qui s’expriment notamment dans la volonté d’avoir un budget équilibré quelqu’en soit le coût social et un populisme flamboyant où l’on promet beaucoup sans s’inquiéter des conséquences. L’engagement de réduction des dettes immobilières et une position intransigeante sur Icesave ont entraîné en avril 2013 un basculement des voix du Parti de l’Indépendance vers le Parti du Progrès ; la redistribution est en cours. Selon les derniers sondages : avant les manifestations, le Parti du Progrès n’est plus qu’à 15% des intentions de vote, maintenant dépassé par l’Alliance Social-Démocrate (17%) et Avenir Radieux (16%). Le Parti de l’Indépendance n’en profite pas : 24%. La Gauche Verte est à 13% ; à 10% les Pirates s’installent progressivement dans le paysage politique. La chute est plus forte encore fin février : Parti de l’Indépendance 19% et Parti du Progrès 13%. Il s’agit ici de « résultats d’humeur », à prendre avec précautions. Toutefois il ne serait pas étonnant qu’un remaniement ministériel ait lieu après les élections locales d’avril.

La politique économique

A la Banque Centrale : une des premières mesures décidées par le gouvernement de transition nommé en février 2009 avait été de modifier le mode de nomination du Président de la Banque Centrale. Il s’agissait officiellement de « professionnaliser » cette nomination en confiant la sélection à un groupe d’experts, mais en pratique un tel changement était nécessaire pour contraindre au départ Davíð Oddsson, alors président de la BCI, et ancien Premier Ministre vilipendé par les manifestants des Casseroles. Le nouveau gouvernement voudrait-il renouveler la manœuvre ? Arrivé en fin de mandat mais candidat à sa propre succession, Már Guðmundsson, actuel président, apprend de Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances, que son poste va faire l’objet d’un appel de candidatures.
islande union européenneLa raison officielle est le souhait de revoir le mode de fonctionnement de la BCI à la lumière de l’expérience des cinq dernières années. Mais chacun sait que Már ne s’est pas toujours montré très souple par rapport aux projets du gouvernement ; il a notamment critiqué le programme de réduction des dettes voulu par Sigmundur Davíð pour ses éventuelles conséquences inflationnistes, et celui-ci n’a pas caché sa colère ! Serait-ce une nouvelle concession du Parti de l’Indépendance au Parti du Progrès ? En tout état de cause la prudence de la BCI paie : la Couronne a progressé d’environ 6% par rapport à l’ensemble des monnaies depuis novembre 2013 et la banque a pu acheter 107 millions d’euros sur la même période, notamment en janvier. Quant à l’inflation, elle est autour de 2.5% ce qui est l’objectif qui lui a été assigné. A plus long terme, la BCI prévoit 3.7% de progression du PNB en 2015 et 3.1% en 2016, alors qu’elle ne serait en 2014 « que » de 2.6%… Pour autant Fitch se contente de passer l’Islande de BBB- à BBB, attendant de savoir comment sera financé le programme de réduction des dettes immobilières.

Le commerce extérieur : pour ce qui concerne les échanges de biens les estimations publiées par le Bureau des Statistiques sont les suivantes :

tab

Ces estimations confirment logiquement ce qui a été relevé tout au long de l’année : une balance commerciale pour les biens toujours positive mais en régression par rapport aux années passées, plus encore si l’on neutralise l’importation d’équipements de transport (avions et bateaux) dont chaque unité a un effet important sur l’ensemble. Pour l’essentiel cette régression est due à la chute des cours sur les principaux produits exportés. Grâce au développement du tourisme, elle sera plus que compensée par la balance des services, dont les estimations n’ont pas encore été publiées. La bonne nouvelle est la progression des importations de biens d’investissement. Sur ce sujet notons le projet de construction par le groupe américain Silicor Material d’une très grosse usine d’extraction et de traitement des diatomées, 16000 tonnes par an (400 emplois), qui en ferait la plus grande du monde. Elle serait construite à proximité de l’usine de production d’aluminium de Grundartangi, à l’entrée du Hvalfjörður, qui était voici quelques années l’un des plus beaux fjords d’Islande.

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Hvalfjörður

Economique et social

L’Accord de Stabilité : en janvier, j’avais évoqué les difficultés rencontrées par l’ASÍ (Fédérations des Syndicats de salariés) pour faire signer par les syndicats la composant l’Accord de Stabilité signé avec les employeurs. Une petite majorité d’entre eux l’avaient repoussé. Des ajustements acceptés par la Fédération des Employeurs, notamment une prime, ont permis de sortir de l’impasse. Cependant, le syndicat des enseignants, non rattaché à l’ASÍ, menace d’appeler ses adhérents à la grève.

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Les flux migratoires : autre signe que la situation économique de l’Islande s’est bien améliorée : les émigrés reviennent. Après un solde migratoire négatif de 8692 personnes sur la période 2009-2012, 7071 sont revenues en 2013 alors que 5473 sont parties. Toutefois ce mouvement concerne les étrangers (+1634) ; le retour semble plus difficile pour les Islandais (-36). Moins satisfaisant : 1058 de ces 1598 personnes se sont installées à Reykjavík ou autour ; à l’exception du sud, les autres régions ont poursuivi leur dépeuplement.

Relations internationales

Pour rendre plus étroite leur coopération en matière de défense les ministres concernés des cinq pays nordiques ne pouvaient trouver lieu plus emblématique que l’ancienne base américaine de Keflavík, alors qu’ont lieu des exercices communs de défense aérienne auxquels participent pour la première fois Finlandais et Suédois . Leur réunion a lieu le 12 février. Sont abordés tous les sujets concernant la sécurité au sens large, y compris la criminalité sous toutes ses formes. Par ailleurs dans un communiqué du 20 février, le Ministère des Affaires Etrangères fait part de sa préoccupation sur la situation en Ukraine. Interrogé à ce propos Gunnar Bragi Sveinsson regrette que l’Union Européenne ne s’engage pas plus ; autre raison de ne pas y adhérer

Maquereaux : un conflit qui n’en finit pas, du surtout à l’intransigeance de la Norvège qui pour résoudre le problème propose simplement de porter le quota international à 1.3 millions de tonnes, soit près de 50% de plus que la limite proposée par le Conseil International pour l’Exploration de la Mer.

Pendant ce temps la vie continue…

  • 04-02 : 20% des Islandais se disent « workaholics » ; 18.3% travaillent plus de 50 heures par semaine : sont-ce les mêmes ?
  • 06-02 : 56% des Islandais veulent retarder leur montre d’une heure,
  • 07-02 : le vent soufflait à 50 mètres par seconde à Vestmannaeyjar ; presque autant qu’en Bretagne !
  • 15-02 : il y a 20 officiels islandais à Sotchi, dont 5 sportifs en compétition,
  • 23-02 : des touristes ont campé à Mývatn par –23° ; on ne dit pas s’il s’agit de Français…
© Photos : Páll Stefánsson ~ Lapresse.ca ~ dv.is ~Visir.is (FRÉTTABLAÐIÐ : Valli/Anton Brink)
Sélection iconographique effectuée sous l’entière responsabilité de la rédaction de Vivre en Islande.

 

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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un commentaire

  1. Michel, c´est officiel, je suis fan!! J´ai toujours un attachement particulier aux gens qui savent expliquer clairement les situations qui semblent trop fouillies á mes yeux de profane.

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