Quand je n’y suis pas. En Islande (5)

Le 31 décembre dernier, je n’y étais pas. En Islande. Privé de feu d’artifice.

Ben oui : pendant cette période de fêtes, le feu d’artifice est aux joyeux lurons islandais ce que la dinde est à nos gloutons estomacs gaulois : une institution. À l’époque, quand nous résidions sur l’île, l’idée que nous nous en faisions correspondait au souvenir des feux auxquels nous avions assisté en France, le 15 août : 20 minutes de détonations ininterrompues dans un ciel bardé de couleurs. Un truc de pro. Un spectacle. Mais un spectacle qui finissait par s’arrêter. En Islande, il n’y a pas un, mais des feux d’artifices. Et les lancements s’étalent sur près d’un mois. En fait, chaque islandais, du plus jeune au plus âgé, peut s’improviser organisateur de show pyrotechnique. Ils ne s’en privent pas. Les hostilités démarrent aux alentours du 29 décembre. Phase d’entraînement. De préférence jusqu’à 2h du matin. Ils se poursuivent jusque dans la nuit du 30 janvier. Plus qu’un rite festif, c’est un sport national.

La première fois, ça surprend. Nous avions d’abord cru que notre quartier avait été sélectionné pour une expérience visant à mesurer la capacité de résistance au bruit d’une famille normalement constituée. Il nous avait semblé que les rampes de lancement avaient été délibérément situées dans un rayon de 50 à 100 mètres de notre maison. Nous ne profitions donc pas nécessairement des jolis palmiers, pivoines et autres saules pleureurs que dessinaient ces feux, et qui pouvaient être masqués par les maisons alentours, mais nous pâtissions assurément des détonations qui les accompagnaient.

Le feu d’artifice amateur présente par ailleurs cette caractéristique très agaçante de pouvoir éclater dans un bruit assourdissant sans pour autant déployer sa cohorte de nuances variées. Une sorte de coït visuel interrompu. Moins frustrant que l’autre, mais aussi beaucoup plus bruyant. Nous récoltions tous les effets secondaires sans être soulagés de notre désir de divertissement.

Nous avions fini par comprendre que l’expérience était générale. Car pour avoir un meilleur point de vue, nous nous étions rendus chez des amis qui résidaient dans le centre, au dernier étage d’un immeuble qui en comptait 4. Du balcon, nous pouvions profiter d’un panorama exceptionnel sur toute la capitale. Reykjavik ressemblait à une ville assiégée, étrangement déserte. Nous avions dénombré jusqu’à 12 feux d’artifice simultanés. Proches ou éloignés. Une expérimentation de résistance au bruit à grande échelle donc. Une tentative éphémère et répétée d’occupation du ciel. Las, après avoir admiré une centaine de courtes exhibitions colorées plus ou moins abouties, lorsque les qualificatifs – oh la belle bleue, oh la belle rouge… – vinrent à manquer pour décrire le cent unième et qu’une pluie glacée fit son apparition, nous jugeâmes préférable de renoncer et de rentrer.

feux d'artifice en islande

La rareté donne leur valeur aux choses. Les feux d’artifice n’échappent pas à la règle. En arrivant chez nous vers deux heures du matin, les déflagrations continuaient. Le sentiment d’être des cobayes s’était estompé, pas celui d’être des cibles. Dans nos lits, à peine tentions-nous de fermer un œil qu’une détonation nous faisait sursauter. L’inventivité de l’être humain n’est jamais aussi créative que lorsqu’il s’agit de traumatiser ses semblables. Et en matière d’explosions, l’islandais moyen fait preuve d’un talent rare. Alors faute de pouvoir dormir, nous comptabilisions les différentes variétés de supplices imaginées.

Le « bam » franc et massif, qui claque avec un très léger écho, donne l’étrange et désagréable impression d’être brusquement télé portés dans une caverne. Le tristement célèbre « bam mitraillette », provenant des pétards, est l’un des plus pernicieux parce qu’il n’a même pas l’excuse d’engendrer un spectacle de lumière pour compenser son tumulte. Mais c’est avec le « bam » précédé d’un long et néanmoins discret « fizzzzzzz » qu’on atteint le paroxysme du calvaire. Ce pétard-là n’est supportable que lorsqu’il explose, ce qui n’est pas toujours le cas. Plus que l’explosion elle-même, c’est l’attente de la déflagration qui ronge. Ces longues secondes pendant lesquelles nous savons que nous allons nous prendre un « bam » dans la tronche, sans savoir précisément quand.

Pour fêter la nouvelle année, les islandais avaient ainsi joué avec notre résistance pendant 3 jours et 3 nuits d’affilée. Consolation : une partie des bénéfices dégagés par la vente des feux d’artifice sert à financer les sauveteurs bénévoles, qui disposent ainsi de moyens financiers pour former leur personnel, s’équiper… Et pour la petite histoire, chaque feu tiré symbolise une vie. Une vie sauvée. Au regard du nombre de lancements effectués, nous nous étions dit que cette nouvelle année n’offrirait que bien peu d’occasions de sauvetages.

Reste que quand je n’y suis pas. En Islande. Les feux d’artifice me manquent.

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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