Référendum Icesave : « non » mais bon…

« Nous sommes le 6 mars 2010 après J.C. Toute l’Islande s’est mobilisée pour s’opposer au remboursement de la dette de la défunte banque en ligne Icesave. Toute ? Non ! Un assemblage hétéroclite d’irréductibles Islandais résiste encore et toujours à l’envahisseur. »

Après l’écrasant plébiscite du « NON ! Hors de question de rembourser dans les conditions proposées les quelque 4 milliards d’euros que nous réclament Anglais et Hollandais », le vote favorable au remboursement et le faible taux de participation ne sont pas sans rappeler le célèbre prologue de la bande dessinée de Môssieur Goscinny. Au regard des 93% d’opposants à la loi Icesave, même les modestes 1,8% de votants qui y furent favorables ont de quoi surprendre. Et avec un taux de participation d’à peine 63%, la mobilisation des électeurs n’a été ni en rapport avec l’enjeu, ni avec l’hostilité affichée par la population, ni davantage avec l’implication habituelle des Islandais. Pour mémoire, en avril dernier, les élections législatives avaient conduit aux urnes plus de 85% des 230 000 Islandais en âge de le faire.

Un vote à 4 milliards d’euros

Le 6 mars dernier, les habitants de l’île aux volcans devaient décider si, « oui » ou « non », il était juste de payer pour les âneries de quelques dizaines d’investisseurs aussi incompétents que cupides. Une ânerie à 4 milliards d’euros, si on intègre les intérêts prohibitifs réclamés par les gouvernements anglais et batave.

icesaveSous la pression de 60 000 citoyens courroucés qui ont considéré que le montant et les modalités de remboursement imposées étaient iniques, la loi votée par l’Althing (le Parlement) en décembre 2009, n’a pas été ratifiée par Olafur Ragnar Grimsson, le Président de la République. Une quasi première depuis la création du petit état en 1944.
Les négociations avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas avaient alors repris et la coalition gouvernementale de « Sainte Johanna » optait, à contrecœur, pour l’organisation d’un référendum national. Autrement dit, les Islandais allaient être amenés à se prononcer sur un accord qui dans le même temps faisait l’objet de tentatives d’aménagement.
Etait-il nécessaire d’invoquer les elfes pour prédire l’issu du scrutin ? 

« Voter « oui » était inutile dans la mesure où la loi de décembre 2009 n’avait plus rien à voir avec les propositions d’aménagement déjà sur la table »

explique Thorvaldur Gylfason, ancien économiste pour le FMI et professeur d’économie et de sciences sociales à l’Université de Reykjavik. Pour ce personnage respecté, un temps pressenti pour prendre la direction de la Banque Centrale d’Islande, c’est aussi ce qui contribue à expliquer le faible taux d’opinions favorables à un remboursement.
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134.000 « non », 2.700 « oui » et 92.500 « bof »

La loi ne verra jamais le jour. Soit. En déposant leur bulletin dans l’urne, les Islandais n’ont probablement pas oublié la décision de Gordon Brown de faire de ce petit pays sans armée, une nation terroriste. Et la grande majorité des médias se sont fait l’écho de ce refus « franc et massif », de cette « écrasante victoire du « non » ». Cette lecture politique quasi unanime des médias au sujet du vote du 6 mars n’a-t-elle pas été un tantinet rapide ? Car en définitive, ramenés à l’ensemble du corps électoral, ces 93% ne dépassaient pas les 60%. Ils ont été 2.699 à voter « oui ». Près de 7.000 à voter « blanc ». Et plus de 85 000 à déserter les bureaux de vote en dépit de l’importance du scrutin. Parmi ces derniers, « plusieurs membres du gouvernement, ainsi que le Premier Ministre et le Ministre des Finances ont dit qu’ils resteraient à la maison », fait même remarquer Thorvaldur Gylfason, qui ne mâche pas ses mots quand il évoque la classe politique Islandaise, qu’il juge « totalement incompétente ». Pourrait-on imaginer François Fillon organisant un référendum et déclarant nonchalamment qu’il n’irait pas voter ? Ils furent donc 2.699 disposés à assumer la cryogénisation subite de l’ancienne filiale de Landsbanki, balayée par les vents glacés de la crise financière d’octobre 2008. 7.000 manifestement partagés. Et 85.000 peu enclins à se déplacer jusqu’à un bureau de vote.

La victoire du « non » a-t-elle été si « écrasante » que certains ont voulu nous le faire croire ? Et quelles ont alors pu être les raisons de ce fort taux d’abstention ?

Un vote contre l’opposition

icesaveComme de nombreux Islandais, Petrína Rós Karlsdóttir cumule les métiers. Cette traductrice assermentée, professeur de français et guide touristique suggère que le « oui », à l’instar du vote « blanc » ou du boycott pur et simple, a pu être un vote de défiance à l’encontre du Parti Conservateur (Parti de l’Indépendance), dont beaucoup considèrent qu’il a une part de responsabilité importante dans la crise financière. Un parti au pouvoir pendant près de 20 ans et dont la figure emblématique fut David Oddsson, ex patron de la Banque Centrale au moment du crash.
« Trois des principaux partis politiques ont accepté des rémunérations substantielles de la part des banques et d’entreprises alliées dans les années qui ont précédé la crise » ajoute Thorvaldur Gylfason, qui s’empresse d’ajouter que « selon un récent sondage d’opinion, seulement 13% de l’électorat ont confiance dans le Parlement »À quoi bon aller voter dans ce contexte de défiance ?

Une manifestation de dignité

D’autres font état d’un sursaut d’orgueil et de fierté pour justifier leur choix de voter « oui ». À l’instar de ces vikings obstinés et courageux qui, dans les années 50 à 70, pour étendre leurs zones de pêche, ébranlèrent les certitudes maritimes de la Perfide Albion lors des guerres de la morue, Berglind Margo Tryggvason Þorvaldsdóttir aurait voté « oui ». 

« J’aurais voté « oui » pour en boucher un coin à tous ceux qui regardent l’Islande en se disant « les pauvres » ou « les nuls ». Les Islandais n’auraient plus eu la position des grands méchants qui ont mis le bazar mais ne veulent pas ranger ; ce qui n’est vrai qu’en parti. »,

explique cette étudiante de 20 ans, installée à Paris depuis quelques mois.

Un avis partagé par de nombreux électeurs, y compris par ceux qui n’ont pas souhaité se déplacer.

« Une parodie de démocratie »

C’est le sentiment d’Ólöf Pétursdóttir, une Islandaise férue de breton et de langues celtiques, installée en Bretagne. En apprenant que Johanna Sigurdardottir, Premier Ministre à l’initiative du référendum, n’irait pas voter, elle a finalement renoncé à envoyer son bulletin pour le faire valider. Un « oui » qui s’est donc transformé en abstention. Pour elle, c’est « se foutre de la gueule des gens que de leur demander de s’exprimer sur quelque chose qui a déjà été décidée ; et en revanche de ne pas leur demander de s’exprimer sur les sujets importants, comme par exemple les installations d’usines d’aluminium, qui émoussent sensiblement la « valeur écologique Islande » et ont coûté une fortune à l’état Islandais ».

Une perte de temps et d’argent

Mais le temps perdu en vaines palabres et le coût faramineux qu’il engendre chaque jour comptent très probablement parmi les motivations les plus représentatives des abstentionnistes et des Islandais favorables à une issue rapide.
Thorvaldur Gylfason le dit clairement : « cette polémique sur Icesave aurait dû être réglée au premier semestre 2009, afin de permettre au gouvernement de se focaliser ensuite sur les efforts de reconstruction du pays, en collaboration avec le FMI. Les retards pris dans la mise en place de l’opération de sauvetage ont été coûteux sur le plan économique et ont contribué à détériorer le climat politique. » En définitive, une lecture objective et impartiale des résultats n’aurait-elle pas dû conduire les observateurs à s’intéresser autant aux 93% d’opposants à la loi Icesave qu’à ces 40% d’Islandais hésitants ou même favorables à un remboursement aux conditions proposées ? Fallait-il voter « oui » et assumer solidairement cette dette pour des raisons qui tiennent sans doute autant à un sens profond de l’honneur et de l’image donnée au monde, qu’à un penchant historique pour les défis les plus improbables ? Ou bien le « non » devait-il l’emporter compte tenu des exigences disproportionnées des créanciers Anglais et néerlandais, ou de la malhonnêteté de spéculateurs imprudents, adeptes d’un Monopoly version Islandaise ? Le prétendu raz-de-marée de ceux qui ont rejeté une loi « Ice Slave » ont occulté plus du tiers d’une population qui s’est révélée partagée sur le parti à prendre.
En réalité, les résultats de ce suffrage semblent bien plus complexes que l’analyse de la presse ne l’a laissé entrevoir. En mettant en exergue le « non », en faisant l’impasse sur ce large et très inhabituel phénomène d’abstention, les médias ont ignoré deux réalités, deux conceptions qui s’opposaient. Car si la très grande majorité du peuple Islandais s’accorde à juger cette dette profondément injuste et injustifiable, il est également partagé sur la façon de l’honorer, sur les solutions à privilégier pour la régler.
Il est possible, sinon probable, que la publication très attendue des résultats de l’enquête ouverte sur la recherche des responsables de la faillite du système financier Islandais (enquête à laquelle participe l’ancienne juge Eva Joly), permettra de rassembler à nouveau les descendants de Hrafn Hoengsson, premier chef du premier parlement européen de l’histoire. Le jeune état Islandais mériterait de sortir honorablement et rapidement de ce volcan en éruption pour pérenniser une indépendance acquise chèrement.

Sources

Thorvaldur Gylfason a gentiment accepté de répondre à mes questions par mail ~ Ólöf Pétursdóttir m’a tout aussi gentiment accordé un entretien téléphonique ~ Les autres personnes citées m’ont répondu via Facebook ~ Chiffres (officiels) de la participation au referendum : http://www.icelandreview.com/ ~ Photos : Remise de la pétition au Président Grimsson par l’association Indefence, empruntée ici : www.indefence.is/ ~ Thorvaldur Gylfason, empruntée ici : http://notendur.hi.is/gylfason/inenglish.htm ~ David Oddsson, empruntée ici : www.icenews.is
Article publié le 16 mars sur le site Mondialisation.ca

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Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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un commentaire

  1. Pour 4 milliards d’euros ils pourraient au moins faire un sourire sur la photo!

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