Panoram’art Reykjavíkur

L’art en Islande, capitale d’un pays sous domination pendant sept siècles, a une histoire très récente. Il n’y a pour ainsi dire que très peu d’héritage architectural, et aucun sculpteur ou peintre n’a exercé son art en tant qu’activité professionnelle avant la toute fin du XIXe siècle. Alors que Reykjavík n’était encore qu’un petit village, les quelques rares premiers artistes islandais partaient déjà étudier en Europe et aux Etats-Unis et ont dû exprimer l’âme islandaise en composant avec les influences étrangères.

Les politiques et institutions publiques culturelles ont donc été développées tardivement mais l’isolement à l’égard du Danemark et de l’Europe et la présence américaine sur le sol après l’Indépendance ont encouragé l’Etat à se concevoir comme une nation originale d’artistes, avec au cœur de cette politique culturelle la langue islandaise. L’accent a été mis sur sa préservation et son renouvellement, mais aussi sur un haut niveau d’enseignement artistique dès le plus jeune âge, la liberté d’expression, les initiatives culturelles décentralisées et individuelles, et une active participation dans la coopération culturelle nordique.

Résultat : les Islandais visitent en moyenne cinq musées par an, contre un seul pour la Finlande ou deux pour la Norvège. 4% du PIB est consacré aux affaires culturelles dans le budget national annuel. C’est aussi la nation par excellence de la littérature depuis l’âge d’or des Sagas, en termes de lecture et de publications par habitant.

Lorsqu’il déambule aujourd’hui à travers la cité la plus septentrionale du monde, le visiteur est surpris par le nombre d’œuvres d’art. Chaque coin de rue a sa création, sculpture, statue, fresque ou installation temporaire. Elles émaillent les parcs publics, les jardins et les innombrables galeries d’art moderne, dont beaucoup sont gérées par les artistes eux-mêmes, et dont les expositions sont suivies avec ferveur. Parfois, l’intégration de l’œuvre dans l’urbanisme est contestable, les commandes publiques peuvent manquer de pertinence, sans compter qu’il n’est tout simplement pas possible de voir les œuvres de certains grands peintres islandais du fait de l’absence de réelle galerie nationale. Mais les festivals d’arts et les vernissages sont très populaires, et la ville ne compte pas moins de six musées d’art, un nombre impressionnant pour une population de 120 000 habitants. Petite visite guidée de cette passion pour l’énergie créatrice et le patrimoine artistique qui fait la réputation de Reykjavík et de ses proches environs.

Textes et photos de Sébastien Marrec, Reykjavík ~ Merci au Musée National d’Islande, à Listasafn Reykjavíkur, à Listasafn Íslands et à Jonathan Brunn pour les retouches.

 

Légendes photos

DREAMBOAT

Squelette de métal se détachant sur le Mont Esja, Sólfar (Le voyageur solaire), la dernière sculpture imaginée par Jón Gunnar Árnason, est devenue un symbole emblématique de Reykjavík, très prisé des touristes. Contrairement à une interprétation communément admise, l’œuvre ne représente pas un bateau Viking amenant les premiers colons ; l’intention de l’artiste était bien d’imaginer un navire portant le soleil.

DE VERRE ET DE METAL

A la fois chic et populaire, Harpa est une fascinante ville dans la ville. La plus grande salle affiche la démesure : 1800 places disponibles, à comparer aux 180 000 habitants de l’aire urbaine de Reykjavík. Le soir, avec son restaurant haut de gamme, sa boutique de design et une autre de musique, c’est aussi un lieu de rencontres branché, censé rapprocher le quartier du port et le centre-ville. Lors des portes ouvertes précédant l’inauguration, 100 000 personnes sont venus visiter l’endroit et écouter les concerts de musique classique – l’équivalent d’un tiers de la population du pays.

CUBE BANCAL

Icône du renouveau islandais, pourtant imaginée au temps des illusions financières, la salle de concerts et centre de conférences Harpa a été inaugurée en pleine débâcle financière grâce à une rallonge financière du gouvernement.

FIN DE PARTIE

Plutôt que de laisser une carcasse symbole d’échec, le gouvernement a en effet pris la décision controversée de l’achever pour en faire celui du dynamisme revenu. Le monument restera dans beaucoup de mémoires comme le symbole insolent du consortium de la crise – les « bankgsters », en particulier les propriétaires de Landsbankinn – dont ce n’était toutefois que la premier stade prévu d’une transformation majeure du quartier du port.

ANGLE DE VUE

Pour l’artiste Eliasson, Harpa fait des personnes qui s’y trouvent des co-producteurs de l’espace public. La façade de verre change ainsi d’aspect avec les mouvements et la circulation des visiteurs. De l’intérieur ou de l’extérieur, l’autre côté apparaît comme un grand théâtre de silhouettes.

POINT DE FUITE

Quant aux parois noires, elles rappellent le noir intense des champs de lave islandais. L’irrégularité des rampes et des voies de passage donne de la profondeur à l’ensemble. A l’instar des anciens opéras, Harpa est un lieu où il s’agit de voir et d’être vu, d’où que l’on se trouve.

FORMATIONS

Les angles bancals de ces quelques 1000 baies vitrées font référence aux orgues basaltiques, formations en colonnes sculptées par l’érosion et qu’on rencontre un peu partout sur le territoire islandais. Le bâtiment s’en trouve imprégné en permanence des humeurs du ciel, des lumières de la ville et de l’apparence des montagnes.

CHEZ L'ARTISTE

Au 74 Bergstaðastræti, dans la maison qu’habitait Ásgrimur Jónsson (1876 – 1956), le premier Islandais à avoir fait de la peinture son métier. Rien ne semble avoir bougé dans ce qui est devenu un petit musée, où l’on peut contempler les huiles et aquarelles de l’artiste et découvrir, à l’étage, son atelier baigné de la lumière d’un large vasistas de toiture. En plus des scènes de sagas et de contes populaires, Ásgrimur peignit inlassablement en extérieur la campagne islandaise dans un style influencé par les impressionnistes français.

ENIGMES

Au pied de Hallgrímskirkja, l’étrange maison d’Einar Jónsson (1874 – 1954), le premier sculpteur islandais. Le jardin, à l’arrière, est gardé par les répliques en bronze des œuvres exposées à l’intérieur, qui devint du vivant de l’artiste un musée. Ses sculptures métaphoriques et mystiques multiplient les références mythologiques, bibliques et philosophiques. Conjuguant réalisme des traits et symbolisme des émotions et des concepts, ses créatures de pierre s’extirpent souvent épiquement d’un bloc mal dégrossi et brut.

ROQUETTE GOTHIQUE

Les colonnes de béton de Hallgrímskirkja, elles aussi inspirées par la nature islandaise. Cette immense église reste l’édifice le plus connu de Reykjavík, à la fois par sa hauteur (75 mètres), sa forme unique de fusée spatiale, et par son usage de repère dans un centre-ville où la norme reste la maison basse de tôle ondulée. Sa construction dura 34 ans, mais vingt ans à peine après son achèvement, on découvrit que le béton utilisé était de très mauvaise qualité et l’église fût à nouveau recouverte pendant des années par les échafaudages. L’intérieur est d’une sobriété toute puritaine. Guðjón Samúelson, son architecte, construisit pour ainsi dire tous les bâtiments d’importance de la ville dans la première moitié du XXe siècle.

COURBES

Construite entre 1958 et 1963 au milieu d’un éparpillement de roches, l’église de Kópavogur est l’emblème de cette municipalité accolée au sud de Reykjavík. L’architecture, qui suit un plan en croix mais innove par des sections paraboliques inhabituelles et de larges vitraux, est le fruit du travail de Ragnar Emilsson.

ELANCEE

Les églises emblématiques de l’architecture moderne de la seconde moitié du XXe siècle ne manquent pas en Islande. Áskirkja, près du jardin botanique et du stade national, a été consacrée en 1983. Cette harpe de pierre blanche à l’acoustique appréciée est l’œuvre des architectes Helgi Hjálmarsson, Vilhjálmur Hjálmarsson et Harold V. Haraldsson.

BIG BROTHER

Perjovschi affectionne les vitres et joue sur les espaces intérieurs et extérieurs des salles, mais aussi sur leur aspect et sur les différents objets qui ne sont pas destinés à être regardés – comme ici la caméra de surveillance.

CULTURE

Le dessinateur ausculte tous les sujets, de la place de l’art…

ENVIRONNEMENT

…aux débats mondiaux…

INEGALITES

…en passant par les thèmes sociaux.

L'ESPRIT DES TEMPS

Volontiers critique, Perjovschi pose les questions essentielles et donne à penser en pointant du doigt les lâchetés et les responsabilités individuelles mais surtout les comportements de masse de nos sociétés de consommation.

LE MUR COMME PAGE BLANCHE

De ses traits au marqueur aussi noir que son humour, l’artiste roumain Dan Perjovschi couvre depuis quinze ans les salles des musées d’art. Á même les murs et les vitres, le dessin est vif, simple, naïf comme celui d’un enfant, mais l’humour au vitriol n’en ressort que plus efficacement. Le musée d’art de la ville de Reykjavík l’a invité l’année dernière.

LE TRAIT AIGUISE

Plusieurs années durant dessinateur pour la presse d’opposition à l’époque de la chute du mur, observateur avisé de l’actualité mais aussi du pays dans lequel il dessine, Perjovschi multiplie les raccourcis grinçants dans ces graffitis et textes.

CONCENTRE

Hommage à Fernand Léger, 2009. Toujours par Erró, une grande rétrospective quadrillée du peintre cubiste : la reproductibilité technique devient compilation d’un univers artistique.

SATIRE

Exubérante, démesurée, prolifique – le musée d’art de Reykjavík garde en réserve quelques 4000 de ses travaux –, l’oeuvre d’Erró est largement empreinte de thèmes politiques, d’actualité internationale et des phénomènes des sociétés contemporaines. Dans ce collage de 1974, Allende Topino-Lebrun, mélange les époques et les genres mais met en parallèle les thèmes : le président chilien Salvator Allende en 1973 et le peintre François Topino-Lebrun en 1801 ont tous deux été victimes de complots. Erró garde des éléments de son tableau La mort de Caïus Gracchus Babbeuf, place une perspective de Hans Vredeman de Vries, une photographie d’Allende, et sature le tout par des caricatures de généraux. Le créateur témoin, usant du détournement et de l’allégorie, dénonce aussi.

ART GRAPHIQUE

Vermeer, une œuvre toute récente d’Erró (2005), l’artiste islandais le plus connu à l’international pour ses collages qu’il a produit en grand nombre depuis 1958. Erró, de son vrai nom Guðmundur Guðmundsson, allie et détourne dans des compositions inattendues personnages de comics américains ou de mangas, affiches de propagande, peintures anciennes très célèbres, publicités,  dessins de presse et de revues scientifiques, etc.

CONTROVERSE

La mairie fut cependant assez décriée lors de son inauguration en 1992, car sa forme supérieure incurvée, pensée comme une évocation des ailes d’un avion, faisait penser aux Nissen huts. Ces structures préfabriquées semi-cylindriques en tôle ondulée construites pendant la Seconde Guerre mondiale, et dont des exemplaires subsistent aujourd’hui encore en Islande, abritèrent les migrants venus en nombre du reste du pays une fois le conflit terminé et l’Indépendance proclamée. Elles restèrent synonymes de pauvreté et de pénurie.

LE FONCTIONNAIRE ANONYME

Si dans de nombreux pays, on trouve des monuments à la mémoire du soldat inconnu, l’Islande est peut-être le seul à détenir une sculpture rendant hommage au travail ingrat du fonctionnaire anonyme. Le sculpteur Magnús Tómasson a laissé le haut du corps non dégrossi, privé de visage. Dessinée par le bureau d’architectes Studio Granda, la mairie de Reykjavík (Ráðhús Reykjavíkur) , à l’arrière-plan, ouvrit une nouvelle ère dans l’histoire architecturale de la ville. Alliance de matériaux bruts, de légèreté et de transparence par le verre et l’aluminium, le bâtiment se veut interaction entre la ville et l’eau du lac Tjörnin. Toutes les parties de la mairie sont reliées au hall, lui-même véritable espace commun dans la ville, reliant deux des rives.

DERIVE

Intéressés par une multitude de supports allant de la vidéo au dessin en passant par la photographie, les artistes Anna Hallin et Olga Bergmann vivent à Reykjavík et travaillent régulièrement ensemble. Au Listasafn, l’exposition Drift montre comme principal protagoniste une Islande gonflable toujours sur le départ, errant le long des côtes européennes. Á l’heure des négociations sur l’adhésion à l’Union, la réalité géologique, celle de deux plaques tectoniques se déchirant du sud-ouest au nord-est, rejoint ici l’interrogation identitaire : cette Islande mouvante appartient-elle au continent américain, au continent européen, à aucun des deux ? Vers où la dirige la crise et la mondialisation ? Sur cette photographie, allusion ironique au réchauffement climatique, le matelas flotte paisiblement tel un nénuphar sur l’étang de Monet.

WINTERSCAPE

A la fin décembre, début janvier, les journées n’excèdent pas cinq heures en Islande. Les paysages comme les habitants ont été façonnés par ces jours sans jour, où le soleil peine à franchir l’horizon et à percer cette interminable nuit. Si en ville, les trottoirs et les chemins gèlent, les cours d’eaux de la campagne se figent en de sinueuses veines brillantes et les chutes d’eau se transforment en de fantastiques palais de glace. Ci-dessus, une photo d’une exposition récente au Listasafn Íslands (la galerie nationale d’art) évoquant cette saison particulière.

SYMBOLE

Chaque année, la lumière verticale de l’Imagine Peace Tower perce pendant deux mois le ciel au-dessus de Viðey, une petite île au nord de Reykjavík. Conçue par l’artiste Yoko Uno, veuve de John Lennon, le monument de pierre est gravé des mots « Imaginez la paix » traduits en 24 langues. Le faisceau, qui se voit de très loin, comprend quinze lumières renforcées par des prismes, alimentées par les inépuisables ressources géothermiques d’un pays reconnu comme l’un des plus pacifiques et les plus écologiques au monde.

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