Alimentation en Islande : quel gaspillage !

En l’espace de quelques décennies seulement, la société islandaise est passée d‘une structure économique qui privilégiait la production de matières premières visant à garantir sa survie (société de type primaire) à une société de services où commerce, importations et informatique se sont imposés. Bien entendu, le commerce a toujours existé et la production de matières premières avait lieu dans des conditions extrêmement difficiles qui séduisent encore peu de monde aujourd’hui. Mais le fait essentiel est que la révolution industrielle n’a pas touché le pays, et que la production de produits de base censée offrir la sécurité alimentaire (notion à la mode) n’a jamais bénéficié d’une image de marque fondée sur le respect de traditions anciennes et de ses producteurs.

Alimentation en Islande ?

Une fois sortie du poisson-bouilli-patates-gigot-le-dimanche (au début des années 70), la génération d’après-guerre a sauté à pieds joints dans la société de consommation; et elle a mis les bouchées doubles. Américanisation ? Sans aucun doute ! La base américaine de Keflavík était à portée de main pour donner l’exemple; fast-food à outrance, sodas à outrance, le tout vendu dans les stations d’essence ou des boui-bouis sans aucun personnel qualifié. Je me souviens qu’à l’époque une chose en particulier m’avait frappée. Au milieu des années 80, nous habitions au Danemark. La famille revenait en Islande pour les vacances d’été. En l’espace d’une seule année, nous avons assisté à un changement radical dans les chariots des supermarchés. Les 4 ou 6 litres de lait inévitables en 1985, furent remplacés en 1986 par la même quantité de… Coca Cola. La boutique de proximité avait disparu, les grandes surfaces avaient inexorablement et totalement pris la relève. Et tout le monde s‘en félicitait. En l’espace de quelques années, la génération pour laquelle tout était nourriture, même si la variété était absente du menu, même si on mangeait pour survivre et même si la notion de plaisir ou d’événement social était relativement absente du repas, a assisté à un changement radical. Globalisation.

alimentation en islande

Au début des années 80, l’approche gastronomique élaborée à partir des ressources islandaises en était à ses balbutiements. Slow Food lançait la révolte contre le fast-food en 1989 alors que le premier Mc Donald ouvrait en Islande en 1986… La part de l’alimentation dans les dépenses des ménages diminuait de façon logarithmique; Bónus était le héros national. Les vacances sous le soleil d’Espagne ou des Canaries ont favorisé l’ouverture de l’île sur le monde au milieu des années 70; le goût pour le poulet, l’ail ou les fraises n’est pas étrangère à cette tendance et on a fini par retrouver ces aliments sur les étagères des supermarchés. Les syndicats ont commencé à surveiller les prix, à les comparer entre Bónus et ses concurrents : la nourriture devait être bon marché. Elle le fut. En Islande comme ailleurs, cette dévalorisation de produits alimentaires, qui sont passés de produits nobles issus du travail des fermiers à celui de produits industriels emballés sans origine visible, a eu le même résultat que dans les pays occidentaux, mais dans un espace de temps plus réduit.

Pour séduire le consommateur, les supermarchés islandais ont écarté les concombres courbes et les carottes tordues, tout a été emballé et sur-emballé dans des packagings sophistiqués divers et variés, la notion de valeur réelle du produit acheté a disparu au bénéfice de la permanence de l’offre – fraises en janvier et asperges en octobre – le tout à un prix minimum. Et dans les arrières boutiques des supermarchés, les employés payés au lance-pierre restaient rarement plus de 3 mois et empilèrent les produits à jeter.

Les centrales d’achat et les fournisseurs de viande locale ont mis au point un système fort intéressant pour les supermarchés de leurs chaînes :

les produits renvoyés dans leurs emballages d’origine étaient intégralement remboursés au détaillant. Plutôt que de mettre en rayon les produits présentant un défaut visuel à un prix réduit, les supermarchés avaient bien plus intérêt à les renvoyer à la centrale d’achat. Bien plus profitable sur le plan comptable. Que devenaient ensuite ces produits ? Ils prenaient le plus court chemin vers la décharge, par camions entiers. Rarement, un responsable dépité tentait de proposer ces « déchets » à un éleveur de vaches ou de cochons qui accepterait de les utiliser pour l’alimentation animale; las, la plupart du temps ces braves bêtes étaient nourries au maïs ou au soja (génétiquement modifiés).

En 2013 la Maison Nordique, notamment en collaboration de Slow Food en Islande et en Allemagne, a organisé une conférence sur le gaspillage alimentaire. Le déjeuner a été préparé exclusivement avec des produits rescapés du voyage vers la décharge : abats de viande non utilisés pour la vente mais parfaitement comestibles, légumes et fruits rescapés des arrière-boutiques et prêts pour le conteneur-poubelle, articles ayant dépassé le « best before » fatidique qui les conduit à la décharge bien que la date de péremption soit encore bonne… Avec ces « déchets » prétendus récoltés en 2 h de temps, un buffet a été monté; il a nourri 40 personnes, et il en restait. La presse a couvert l’événement de manière exceptionnelle, faisant des recherches complémentaires qui ont montré que les Islandais gaspillaient plus de 40% des produits alimentaires, à tous les niveaux de la chaîne. L’opération fut renouvelée début avril 2014, en partenariat cette fois avec plus d’acteurs et en particulier avec les étudiants de l’Université, parmi lesquels un groupe de jeunes pratique le « dumpster diving », c‘est à dire la fouille des poubelles. De nouveau, en 2 h de temps et avec la bonne volonté de tous les intervenants contactés dans le secteur de la distribution, un buffet de 13 plats différents (préparés par deux chefs dévoués à la cause et sérieusement activistes) a été monté. Il a permis de nourrir 150 personnes ! A nouveau, l’évènement a été largement couvert par la presse écrite et fait la Une des JT. Il a contribué à sensibiliser et à faire réagir la population face à ce gaspillage.

L’Islande est un microcosme. Il est possible de se servir du modèle islandais pour étudier la réaction de modèles économiques de plus grande taille qui sont devenus totalement opaques. On accuse souvent le consommateur de gaspiller la nourriture, et sans doute est-il nécessaire de multiplier les actions d’information et de sensibilisation. Mais c’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui pousse au gaspillage; le changement des mentalités et des comportements n’est possible qu’accompagnés notamment d’un changement législatif et d’une modification des règles internes des supermarchés.

Lueur d’espoir : la municipalité vient de décider d’autoriser d’avoir des poules en ville (bon, pas de coqs !), de cultiver les pelouses, et de tenir des marchés dans les quartiers…

On ne gaspille pas ce qu’on cultive.

À propos de Dominique

Slow foodienne à 100%.

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un commentaire

  1. J’adore votre blog, plein d’informations sur le mode de vie des Islandais. Merci pour l’article 🙂

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