L’arme de la grève en Islande

Longtemps la rumeur publique en Islande s‘est faite l‘écho de ce que la presse internationale avait tendance à dire lorsque les syndicats français utilisaient l’arme de la grève ou la manifestation : « ah! ces français, toujours en grève ! ». Aujourd’hui en lisant les remarques dans les médias sociaux ou en tendant l’oreille à l’aéroport de Keflavík ou encore dans les écoles, on sera bientôt tenté d’entendre « ah! ces islandais, toujours en grève ! ».

L’arme de la grève a de tous temps été utilisée, en Islande comme ailleurs. Il y a quelques 40 ans, tous les employés étaient obligés de faire partie d’un syndicat (et d’y cotiser…) et les négociations salariales prenaient souvent du temps. On se souvient des grèves des marins ou des enseignants (rares), des grèves dans le secteur hospitalier, dans le secteur des transports. Jusqu’en 1984. Cette année-là toute la fonction publique se mit en grève, un événement exceptionnel qui bloqua l’ensemble du pays. La raison ? La spirale de l’inflation galopante qui avait dépassé les 80% et dégradé le pouvoir d’achat au point que l’ensemble de la fonction publique ne pouvait suivre les aménagements que le secteur privé pouvait se permettre. Le décalage était devenu insupportable et la grève dura 3 semaines. Après 1984, les grèves se firent plus fréquentes. L’obligation de cotiser à un syndicat disparut, les dits syndicats n’étaient plus aussi centralisés, ils se renforcèrent par profession et devinrent plus pointus dans les négociations aussi bien que dans les revendications. Le poste de médiateur de l’état fut renforcé et précisé pour intervenir dans les négociations bloquées entre le patronat et les syndicats. L’utilisation qui fut faite de la grève évolua. L’attitude des syndicats se durcit, celle des employeurs aussi, les négociations de salaires n’avaient plus le goût plaisant d’une rencontre aimable que l’on faisait durer le plus longtemps possible.

grève en islande

Aujourd’hui, les négociations n’aboutissent qu’à des accords à court terme, et la crise financière de 2008 n’a rien arrangé. La centrale des syndicats ASÍ, qui est accusée de jouer le jeu du patronat, a vu se lever en début d’année une fronde des syndicats les plus radicaux, plus proches de leur base, qui appellent au rejet des accords signés la veille avec le patronat. Les syndicats de différentes professions n’hésitent plus à manier l’arme de la grève rapidement afin de faire pression sur les négociations. Les employés du ferry reliant les îles Vestmannaeyjar à l’Islande ont été les premiers à ouvrir le feu cette année. Les enseignants de l’Université, du secondaire, ceux du primaire et des maternelles, le personnel soignant des maisons de retraite, ont donné un coup de semonce et appelé à une grève d’un jour … pour commencer. Et puis le personnel au sol des aéroports a également ouvert la voie dans son secteur en appelant à une grève ponctuelle mais répétée, suivis par le personnel volant d’Icelandair qui a appelé à la grève de la même manière, en donnant des préavis de grèves ponctuelles. Les issues de ces mouvements sociaux se sont révélées particulièrement variées – du moins pour les négociations qui ont abouti, si tant est qu’on puisse parler de négociations. Les employés du ferry ont dû cesser leur mouvement avec la parution d’une loi qui les y contraignait. Il en fut de même pour le personnel volant, dont les revendications n’avaient guère de soutien parmi la population, pourtant généralement plutôt patiente en cas de grèves de catégories les concernant directement. Les enseignants du secondaire, de l’Université et des maternelles ont signé un accord avec le Ministère de l’Education ou ses représentants. Le personnel au sol des aéroports a également signé un accord salarial et interrompu son mouvement de grève.

Mais d’autres conflits s’annoncent : les hôtesses de l’air ont donné un préavis de grève, les mécaniciens des compagnies aériennes et les contrôleurs du ciel sont sur les rangs et très certainement le personnel soignant des hôpitaux. Un certain nombre de questions ont été soulevées durant ces derniers mouvements : les revendications portaient sur des augmentations de l’ordre de 20 à 40% alors que l’ensemble des salariés bénéficiait d’augmentations de 2 à 4%. Autant les catégories « oubliées » tels que les enseignants avaient le soutien du pays, autant les revendications du personnel volant ont amené la question : quelles revendications peuvent être soutenues par des arrêts de travail d’une telle ampleur ? Celles des catégories les plus défavorisées ou bien celles des bénéficiaires de salaires souvent plus élevés que ceux des plus hauts fonctionnaires de l’état ? La question reste en suspens, mais il est certain que les mouvements de grève en Islande iront en s’amplifiant dans les années à venir. Il est clair que la politique économique du gouvernement, qui réduit la contribution des armements les plus puissants au Trésor Public mais demande en échange aux salariés d’être « raisonnables » dans leurs revendications salariales, n’est pas particulièrement bien reçue.

Petit rappel historique : de 1985 à 2010, il y eut 166 grèves effectives et par 12 fois, le Parlement légiféra pour obtenir l’arrêt du mouvement de grève (essentiellement dans le secteur des transports, du service public et … lors de la grève des ingénieurs laitiers en 1989). Le droit de grève en Islande est reconnu aux syndicats depuis 1938; avec des limites comparables à celles mises en place en Europe.

© Photo en Une : Women’s History Archives (Women’s Strike in Reykjavik, Iceland, 1975)

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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un commentaire

  1. Bonjour,
    merci pour vos articles intéressants.

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