Islande : ça s’est passé en janvier 2015

Charlie… L’onde évidemment traverse l’Atlantique, mais y perd semble-t-il quelque puissance. Deux pays ne seront pas représentés « au plus haut niveau » dans la manifestation du 11 janvier : les Etats-Unis et l’Islande, ce que ne manque pas de relever la presse islandaise (et l’américaine ?). Sigmundur Davíð Gunnnlaugsson, Premier Ministre, s’en explique par un agenda chargé ; quant au Président Ólafur Ragnar Grímsson, il n’aurait pas été invité dans les formes ! L’opposition, bien sur, trouve bien dérisoires ces explications : Birgitta Jónsdóttir, « Capitaine » du Parti Pirate, croit que Sigmundur Davíð n’a pas du « bien comprendre la situation » ; Guðmundur Steingrímsson, président d’Avenir Radieux, y voit la confirmation que « le Premier Ministre n’est pas à la hauteur ». De son coté, Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances et président du Parti de l’Indépendance, juge « malheureuse » l’absence d’un ministre. Très agacé, Sigmundur Davíð rappelle qu’il a reçu Philippe O’Quin, Ambassadeur de France en Islande, pour lui présenter ses condoléances (vous trouverez sur le site Vivre en Islande quelques belles réactions islandaises à ces assassinats).

L’onde pourtant est suffisamment puissante pour que certains s’inquiètent de la capacité de l’Islande à faire face à une menace islamiste, et plus généralement de la présence de musulmans. Sur le premier point il n’est pas si facile d’entrer incognito en Islande et l’appartenance de l’île à l’Espace Schengen luipermet de bénéficier d’utiles renseignements. Quant au second, il y a en Islande 481 musulmans déclarés, en légère augmentation par rapport à 2005 (318), apparemment paisibles. Apparemment ? Ásmundur Friðriksson, député du Parti de l’Indépendance, aimerait en être sur. Il se demande sur sa page Facebook si l’on connaît les origines de ces personnes. Les réactions sont très vives, y compris dans son parti. Pour Bjarni, son président, Ásmundur est allé trop loin : « nous voulons fonder notre communauté sur le respect des droits de l’homme, et ces idées leur sont contraires ».
Sigmundur Davíð n’avait pas été si réactif lorsque Sveinbjörg Birna Sveinbjörnsdóttir, tête de liste du Parti du Progrès à Reykjavík pour les élections municipales, s’était dite opposée à la construction d’une mosquée. Il est vrai que son parti est ainsi passé de 0 à 2 conseillers municipaux. Il doit pourtant intervenir lorsque cette même Sveinbjörg Birna propose Gústaf Nielsson comme membre suppléant de la Commission Municipale des Droits de l’Homme. Ignorait-elle vraiment les positions de Gústaf contre les homosexuels, la construction de la mosquée et les musulmans ? Cohérent dans la provocation, Gústaf, qui est aussi le frère adoptif de Brynjar Nielsson député du Parti de l’Indépendance, déclare qu’il accepte de siéger dans cette commission tout en doutant de son intérêt. La proposition est retirée. Bjarni doit à son tour faire face à des désaccords publiques dans son parti. Après avoir nié la moindre implication dans l’« affaire des fuites » Hanna Birna Kristjánsdóttir, alors Ministre de l’Intérieur, a du démissionner le 21 novembre 2014, mais cela n’a pas mis un point final à l’affaire car Tryggvi Gunnarsson, l’Ombudsman, a décidé, comme c’est son rôle, d’enquêter sur d’éventuelles interventions de Hanna Birna auprès de policiers en charge d’enquêter sur les fuites. Pour s’informer en tant que ministre du bon déroulement de l’enquête, comme elle le dit, ou pour faire pression ? Les conclusions de l’enquête de Tryggvi, exposées lors d’une séance publique de la Commission de Contrôle de l’Alþingi le 23 janvier, sont sans ambiguïté : Hanna Birna a tenté de faire pression sur Stefán Eiríksson, alors chef de la police de Reykjavík. Sigmundur Davíð est prié de faire des propositions avant le 1er septembre 2015 pour que soient clarifiées les règles régissant les relations entre le ministère de l’Intérieur (ministre et conseillers) et la police.

Quelques jours plus tard pourtant, Tryggvi estime relativement légères les fautes de l’ancien ministre et souhaite qu’elle puisse poursuivre une carrière publique. Tel n’est pas l’avis de tous au sein du Parti de l’Indépendance. Bjarni Benediktsson, après avoir soutenu une femme qui est encore vice-présidente de son parti et l’a beaucoup aidé dans sa conquête en 2009, a pris du recul : « ce sera à elle de décider ! ».
Elín Hirst, députée du même parti, n’est pas si complaisante : Hanna Birna ne doit pas revenir à l’Alþingi et doit abandonner ses responsabilités dans le parti : « il est important que les femmes et hommes politiques de notre pays assument leurs responsabilités et leurs erreurs ».

Les sondages sont sévères : le soutien au gouvernement passe de 37.3 à 34.8%. Le Parti de l’Indépendance, qui était en progrès au cours des mois passés tombe de 29.5 à 27.3% des intentions de vote et le Parti du Progrès de 11 à 9.4%. Les partis d’opposition évidemment progressent : Avenir Radieux de 16.2 à 16.9%, les Pirates de 11.4 à 12.8%, la Gauche Verte de 10.4 à 11.9%. Seule L’Alliance Social-démocrate marque le pas, de 16.2 à 15.9%. Et des difficultés sont à venir parmi les 140 textes sur lesquels l’Alþingi doit se prononcer, qui concernent le fonctionnement du gouvernement, celui de la Banque Centrale, l’éducation, les quotas de pêche, ou encore le « pass nature » auquel seule la ministre en charge du tourisme semble croire. Et il y a la motion autorisant le gouvernement à rompre les négociations avec l’UE, que celui-ci promet de soumettre à l’Alþingi avant le 26 mars !

Actualité économique

Commerce extérieur

Dans de précédentes chroniques je m’étais montré inquiet de l’évolution de la balance commerciale pour les biens, déficitaire certains mois de 2014 pour la première fois depuis la crise. Fin novembre le solde était négatif de 1.8 milliard (fob) d’Ikr. Mais si l’excédent de décembre (7.3 milliards d’Ikr) est confirmé

l’année 2014 sera positive pour le commerce des biens, et évidemment très positive pour les services. Pour ce qui concerne les premiers, il sera intéressant de rechercher (chronique de février ?) les causes liées aux volumes et celles liées aux prix (aluminium et produits de la pêche) dans un environnement international où ces prix subissent d’importantes variations.

Prix à la consommation

En confirmation des tendances déjà connues les prix ont diminué de 0.71% en janvier. Principales raisons : les soldes et la chute des cours du pétrole, qui ont largement absorbé l’effet de la réorganisation de la TVA prévue au budget et appliquée au 1er janvier. Toutefois les prix devaient augmenter pour les mois de février et mars et effacer ainsi la diminution de janvier.

Actualité sociale

Cette stabilité ne suffit pas à calmer des revendications exprimées ou latentes. Elles sont alimentées par des comparaisons souvent très empiriques avec les salaires payés dans les autres pays nordiques. Ceci explique peut-être que le solde migratoire des Islandais soit au 4ème trimestre négatif (630 partis, 470 revenus), compensé par l’immigration de 1080 étrangers (dont 400 Polonais) contre 670 départs. Au 31 décembre il y avait 24.230 étrangers parmi les 329.040 personnes vivant en Islande (7.4%). Un effet négatif de ces mouvements est la perte de personnes hautement qualifiées, notamment les médecins. C’est pourquoi le gouvernement a du faire d’importantes concessions, 20% au minimum, pour que cesse leur mouvement de grève. Sigmundur Davíð croit bon de préciser que ce qui a été accordé à cette catégorie de salariés ne saurait faire école. Les autres catégories, pour lesquelles beaucoup d’accords collectifs viennent à échéance, ne semblent pas comprendre…

Le « social » en Islande c’est aussi la répartition de la population sur l’île, donc les conditions de vie dans les zones les plus reculées. Ainsi de Grímsey, île qui a cette particularité d’être le seul morceau (5.3 km²) d’Islande sous le Cercle Polaire, et où vivent 92 personnes (2014), presque toutes occupées à la pêche. Mais ces pêcheurs sont lourdement endettés et devraient vendre leurs quotas pour répondre aux injonctions de Íslandsbanki.

A suivre… Il serait dommage que ne subsistent sur cette très belle île que quelques macareux, en voie eux aussi d’extinction, et un poteau marquant le passage du Cercle Polaire !

Vie culturelle

Björk, bien sur, et « Vulnicura » son nouvel album. La couverture d’abord avec ce vêtement « à la fois sombre et solaire que Björk explique par la schizophrénie que peut ressentir un cœur brisé, elle qui a écrit cet album à la suite de la rupture avec  son compagnon». Puis 9 morceaux, tous « Björk, de « Stonemikler » à Quicksand », mais tous différents tant par leur mélodie que leur orchestration !

Toujours par la musique, et pour illustrer la diversité de la création islandaise, relevons cette remarquable distinction obtenue par Jóhann Jóhannsson, le Golden Globe pour la musique du film « The Theory of Everything », de James March, tristement traduit par « Une merveilleuse histoire du temps ». C’est le premier Golden Globe rapporté en Islande.

Relations internationales

De l’activité internationale de l’Islande, il faut retenir le « Barbershop » organisé à l’ONU, les 14 et 15 janvier, par l’Islande et le Surinam, respectivement premier et dernier dans le classement international sur l’égalité des sexes. Près de 400 personnes, uniquement des hommes, assistaient à cette conférence dont l’objectif était d’impliquer plus les hommes dans le combat illustré par « He for She ». C’était, comme l’a dit Gunnar Bragi Sveinsson, une réponse lointaine à la question posée par l’ex-présidente Vigdís Finnbogadóttir lors d’un colloque sur le même sujet : « Mais où sont les hommes ? ». La veille, Gunnar Bragi était intervenu devant le Conseil de Sécurité à propos des relations entre Israël et la Palestine pour confirmer le soutien de son gouvernement à l’adhésion de la Palestine à la Cour Internationale de Justice.

Mais chacun en Islande retient son souffle à propos du dépôt de la motion rompant la négociation d’adhésion à l’UE. Seul débat entendu ce mois : faudra-t-il le cas échéant reprendre la négociation à zéro ou considérer comme acquis les chapitres déjà fermés ? Querelle d’école ?

Et pendant ce temps la vie continue…

Bibliographie
Dans son ouvrage Les île enthousiastes, Christophe Pons (chargé de recherches au CNRS) propose un voyage au sein des milieux évangéliques des îles Féroé et d’Islande ; une exploration du monde singulier des « Enthousiastes », ces chrétiens différents, alliés de Jésus, qui font de leur vie un engagement dévolu au triomphe de Dieu. (Les îles enthousiastes. Ethnographie des Evangélistes aux les Féroé et en Islande XXe siècle – Christophe Pons. Paris, CNRS Éditions, 2014, 190 p. – Collection CNRS Alpha)

Sélection iconographique effectuée sous l’entière responsabilité de la rédaction de Vivre en Islande.