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Jón Gnarr, politicien apolitique – ou la politique redécouverte ?

Jon Gnarr ? En 2010, son élection avait fait sensation. En Islande, la première réaction fut l’incrédulité. Un clown à la tête de la mairie de Reykjavík ? Encore une occasion de séparer la nation en deux blocs s’opposant, mais cette fois ci sur des critères totalement différents de ceux auxquels on était habitué : les « sérieux » de la politique d’un côté, les « clowns » de l’autre. La politique est pourtant une chose sérieuse, pour ceux qui en font – ou non. Et puis Reykjavík ne fut pas la seule municipalité à rejeter le système sacro-saint et bien rôdé des 4 partis (avec quelques outsiders de temps en temps). Akureyri aussi vota pour un conseil municipal ignorant ces derniers majestueusement.

Un phénomène était il en train de se dessiner ? Une alternative à la politique classique ?

jon gnarrOui mais quelle politique ? Cette réaction « anti » des électeurs aurait-elle un avenir ? Quel maire serait donc Jon Gnarr ? Dans l’expectative, les islandais se transformèrent en spectateurs d’une pièce inédite sur la scène de laquelle un clown assisté d’un punk et de conseillers sans expérience réelle allaient s’efforcer de gérer des dossiers aussi épineux que le déficit de plusieurs milliards de l’Agence de l’Energie et celui du site de l’aéroport de Reykjavík. Jon Gnarr n’avait pourtant rien d’un politique. Ni sa personnalité, plutôt timide et introvertie, ni ses apparitions publiques passées ne le prédestinaient à assumer la fonction. Il était connu en tant qu’acteur comique, avec ce style si particulier du comique sérieux, légèrement irrespectueux des standards sociaux, du personnage décalé par rapport à la réalité mais qui a le droit reconnu de dire la vérité, sans ambages, et à sa manière. Comme dit Goddur, professeur d’arts plastiques et intervenant régulier dans les débats sociaux :

« Jón a toujours été un clown et en tant que tel dit la vérité, et nous, en tant qu’électeurs, le considérons comme un clown qui nous apporte la vérité emballée dans des contrevérités et des comportements de fou du roi »

C’est oublier le fait que Jon Gnarr a mis en application les convictions qu’il a toujours revendiquées dans son parti fondé à la hâte pour les élections de 2009. Des valeurs de justice sociale, d’égalitarisme entre les individus et pas seulement les groupes sociaux, de respect de l’environnement… Est-il vraiment le clown décrit souvent ? Pas sûr. Nous avons découvert un maire qui sort de notre « confort zone » quand il est question de « bêtes politiques » et qui désarçonne tout le monde, partisans autant qu’adversaires politiques. De quelle façon contrer cet adversaire inhabituel ont dû se demander ceux qui n’ont pas soutenu le Meilleur parti et se sont retrouvés dans l’opposition ? Question sans réelle réponse.

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Un débat récent à la radio où participaient un membre de ce parti (donc de la « majorité » au Conseil Municipal), un analyste politique et le conseiller municipal de la gauche, dans l’opposition, a mis en lumière le changement apporté par Jon Gnarr et son équipe  en matière de relations politiques : bien que chacun ait souhaité faire valoir ses priorités, il n’y eut pas d’opposition de principe, de « non systématique » (pour ne pas dire systémique) aux propositions faites par les uns ou par les autres, mais de vrais débats de fond. La droite, représentée par le parti de l’Indépendance, eut plus de mal à prendre ses marques dans un tel contexte. Et puis Jon Gnarr pouvait accueillir Lagy Gaga habillée pour Star Trek, prendre part aux défilés de la Gay Pride en drag-queen, brandir des pancartes « libérez Pussy Riot » dans le costume adéquat sans que personne à la Mairie n’y trouve à redire. Il a fait la une des journaux plus d’une fois pour ces prises de positions, clownesques mais si importantes, aussi bien en Islande qu’à l’étranger.

Le 31 octobre dernier, Jon Gnarr a déclaré qu’il ne se représenterait pas aux élections municipales…

…qui auront lieu l’année prochaine, et que le Meilleur Parti fusionnait avec un autre nouveau du paysage politique, Björt Framtíð (Futur Lumineux); une décision en réalité peu surprenante dans la mesure où l’un des membres du Meilleur Parti a été élu au Parlement sous cette étiquette en avril dernier. Jón a expliqué ne pas être un politicien. Indépendamment des commentaires et des réactions des analystes politiques quant à cette stratégie, un hommage général lui a été rendu par des personnalités de tous bords. L’un des chroniqueurs les plus lus du Fréttablaðið, Guðmundur Andri Thorsson, écrivain et musicien, écrit dans l’une de ses chroniques récentes…

Lorsqu’il était interviewé sur la voirie ou sur des dossiers du même ordre, on voyait combien il se concentrait, ses yeux erraient d‘un point à un autre, il était évident qu’il avait un nombre de réponses stupides et d’improvisations stupides qui lui passaient par la tête sur le sujet en question – il pouvait choisir comment il répondrait, on sentait le bouillonnement pendant qu’il formulait sa réponse, mais quand elle sortait finalement, elle n’était pas forcément géniale, pas d’âneries, pas de hors-sujet, rien de ce qu’il avait certainement envisagé en premier. Il essayait vraiment de répondre de la façon qu’il estimait être la plus juste, la plus vraie sur le sujet et s’il ne savait rien, il le disait. Tel était le politicien Jon Gnarr. Il essayait toujours de dire la vérité. Il nous a apporté l’individu dans la politique et une pause dans la diarrhée verbale. Politicien, il était notre représentant. Mais en fin de parcours, ce rôle, le rôle du politicien, a dû être une charge bien lourde pour le pilote.

Politicien apolitique ? Jon Gnarr répondrait sans doute « qu’est ce que la politique ? », mais il s’est certainement davantage approché du vrai sens du mot politique que beaucoup de professionnels de la politique. Apolitique ? Certainement pas ! Jon Gnarr était bien au delà du simple gestionnaire. Un nouveau phénomène, une alternative à la politique classique ? Probablement pas, dans la mesure où sa politique était liée à la manière dont la personne Jon Gnarr l’envisage et la vit. Il avait fait des promesses électorales, pour beaucoup farfelues pour en montrer la vacuité, et en annonçant d’emblée qu’il ne les tiendrait pas forcément

Cela n’a pas suffit à ouvrir les yeux des islandais qui lors des dernières élections législatives, ont mordu en masse à l’hameçon des promesses électorales intenables faites par les partis aujourd’hui au pouvoir.

© Photos dénichées sur la Page FB de Jon Gnarr (à l’exception de celle ci-dessous)

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À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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2 comments

  1. très bon article. je ne le connaissais pas jusqu’à maintenant merci de me l’avoir fait découvrir

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