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© mbl.is / Kristinn Ingvarsson

L‘Islande, les bananes et Panama

C’est une vieille histoire qui redevient d’actualité.

Il y a maintenant plus de 40 ans, un journaliste d’un hebdomadaire français de grande diffusion trouvait un scoop : l’Islande était le premier producteur européen de bananes. Incroyable mais vrai, ce cliché (en fait il y avait 2 bananiers sous serres dans le village de Hveragerði) a continué d’attirer et de motiver jusqu’à aujourd’hui nombre de journalistes, reporters et autres quidams ayant décidé d‘explorer le pays.

Et voilà comment un cliché ancien, désuet et erroné entre en collision avec les événements actuels où la rue crie « Islande république bananière » et bombarde le Parlement de bananes… En revanche cette nouvelle référence à la banane prête moins à sourire, même avec condescendance. L’accusation est de taille et marque l’évolution d’une société où la famille et les liens entre les individus d’une petite communauté qui se soutenaient en tout, est passée au stade de népotisme et de la corruption qui ne dit pas directement son nom, avec tout ce qui s’ensuit : opacité dans les affaires privées et publiques, néolibéralisme où chacun tire la couverture à soi et de préférence en ne tenant pas compte de l’intérêt public. Et la presse mondiale est présente et témoigne, et se demande ce qui se passe en Islande.

L’Islande s’est métamorphosée avec l’ouverture sur le monde

Ce qui pouvait apparaître comme de la solidarité dans une micro-société où les règles étaient définies par cooptation plus que par des textes de lois -il était si facile de contourner la loi pour faciliter la vie de tous- n’a pas tenu le « choc des civilisations » lorsque l’Islande s’est véritablement ouverte et frottée au reste du monde. Les grandes familles qui détenaient le pouvoir (et souvent les cordons de la bourse) étaient encore dévouées à la cause de l’indépendance du pays, si chère aux insulaires, et les partis politiques se définissaient en grande partie selon des lignes traditionnelles.

Lors du changement de générations, dans les années 70, avec une ouverture sur l’Europe et le reste du monde (l’Islandais se mit à voyager, les relations politiques et commerciales se compliquèrent, le secteur financier se construisit), ces relations entre les individus commencèrent à changer, les « services rendus » prirent l’aspect d’actes de corruption et de scandales, à commencer par les privilèges tels les invitations à pêcher le saumon. Mais le pays ne sut pas comment réagir : après tout, il s’agissait de nos voisins, de nos cousins, de nos compatriotes – et les scandales ne durèrent que peu de temps et ne portèrent pas à conséquences. Les démissions pour cause de scandale ne faisaient pas partie des moeurs locales.

Et puis monta une génération de banksters qui comprit rapidement l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de l’appropriation de ces anciennes structures bien établies, compagnies ou banques, sans aucune moralité, pour faire une fortune immense en appliquant les règles non écrites d’un capitalisme sauvage. Et ce fut la crise financière de 2008, que tout le monde avait vue se développer, mais où personne n’avait les instruments nécessaires pour intervenir. Comme dans le reste du monde. Beaucoup d’encre  a coulé sur le sujet, beaucoup d’encre a aussi coulé sur le fait que l’Islande a remonté la pente à une vitesse record, a donné un exemple de démocratie en se donnant une nouvelle constitution par consultation nationale, en arrêtant lesdits banksters.

Le mythe de l’Islande démocratique

Vu de Reykjavík, d’Akureyri ou de Seyðisfjörður, c’était faux. Entièrement faux. Oui quelques banksters ont fini en prison avec une peine sévère, d’autres devraient suivre, mais la constitution a été confisquée par le gouvernement néolibéral et la triste leçon de la bulle financière n’aura eu d’influence que pendant quelques années : les grues ont réapparu dans toute la capitale, les 4 x 4 pour millionaires aussi, le nombre de voyages à l’étranger (tout cela constituait les points de repère de la bulle financière en 2008) a dépassé les records de 2007. Le dossier Icesave, bâtard désastreux des activités bancaires qui a laissé des milliers de petits porteurs britanniques et hollandais en faillite, a été réglé, mais les banques reconstruites sur les cendres de celles qui ont presque mis le pays en faillite en 2008 sont toujours entre les mains de l’État islandais, qui cherche maintenant à les privatiser.

De nouveau. Dans la foulée du gouvernement de gauche chargé de l’ingrat travail de reconstruction d’un pays en ruine, celui élu en 2013 a choisi : ce sera un capitalisme débridé, des ministres ou parlementaires qui refusent de s’imposer des règles éthiques, des mesures bénéficiant de manière flagrante à ceux qui avaient financé les campagnes des partis politiques désormais au pouvoir (baisse des contributions des armements à l’impôt sur les quotas) et à ceux qui font partie des cercles rapprochés des nouvelles « grandes familles ». Des nouveaux riches. Au détriment (flagrant lui aussi) des services sociaux : services de santé et hôpital national affamés, personnes âgées et handicapés abandonnés, écoles et étudiants laissés pour compte, qui voient leurs pouvoir d’achat se réduire comme peau de chagrin.

Les voix des mécontents grondent de plus en plus fort, sur les médias sociaux et la radio nationale RÚV s’en fait l’écho (pour se voir ensuite accusée de faire de la propagande antigouvernementale par les membres du Parti Progressiste essentiellement). Mais la majorité parlementaire est là; 38 députés sur 63 font preuve de totale soumission à la ligne du parti; le Ministre des Finances le justifie :

« Nous avons la majorité, nous décidons »

Puis vinrent les Panama Papers

C’est dans ce contexte que les « Panama Papers » ont été publiés. Une crise morale profonde qui monte en puissance, une gouvernance incapable de gérer le quotidien (santé, logement, allocations sociales, protection de la nature, tourisme qui s’emballe sans que les fonds soient dégagés pour accueillir les touristes sans dégradation des sites, etc…), et un Premier Ministre qui s’attribue tous les pouvoirs à la limite du ridicule, avec arrogance, désordre, irresponsabilité – dans des dossiers insignifiants autant que fondamentaux. Son manque d’expérience et son arrivée au pouvoir par une main mise sur le Parti Progressiste semblaient promettre un avenir brillant à ce parti vieillissant, espoir de se retrouver au pouvoir dans un contexte fort terne. Comme beaucoup d’autres, qui ont joué dans la cour des « grands » en se constituant une fortune placée à l’étranger devant un manque de confiance en la couronne islandaise, ce jeune espoir du Parti Progressiste s’est fait rattraper par son passé et son arrogance a fait le reste : il n’a eu d’autre option que de quitter le pouvoir devant la publication des documents de Mossack Fonseca prouvant qu’il détenait avec son épouse un capital fort important aux Îles Vierges et qu’il était permis d’avoir des doutes quant à la gestion de l’imposition de cette fortune.

La suite sera inscrite dans l’histoire. Les Panama Papers ont occasionné un séisme international où l’Islande aura joué le rôle de « jeune premier », arrivé par des moyens douteux à tenir le devant de la scène puis obligé de raser les murs pour disparaître, la queue entre les pattes. Les conséquences sont encore difficiles à déterminer : les manifestations de masse continuent à se dérouler devant le Parlement pour exiger la démission du gouvernement et la tenue immédiate d’élections. Un gouvernement qui ne tient pas à lâcher les rênes et s’accroche malgré des sondages au plus bas (26% déclarent le soutenir), les membres du Parti Progressistes qui font figure de fan-club plus que de politiciens et parlementaires responsables.

Difficile de prédire ce qui va survenir

Des élections sont promises pour l’automne mais il reste encore à voir leur tenue se réaliser, le gouvernement les ayant soumises à la condition que l’opposition ne fasse pas d’obstruction à leurs « importants projets » au Parlement – ce qui est bien évidemment loin d’être acquis.

Quelles seront les conséquences sur la radio nationale RÚV qui a déjà été fortement affaiblie par des coupes sévères de budget, un contrat de service sur 4 ans lui rognant les ailes, et la rédaction de nouvelles règles éthiques qui musèlent encore un peu plus journalistes et programmateurs – alors que RÚV a fait preuve d’un professionnalisme remarquable lors de la crise de ces deux dernières semaines ?

Quelles seront les conséquences sur l’avenir politique ? En Islande comme ailleurs, le système des partis politiques classiques semble dépassé mais il est difficile de voir quelle gouvernance peut prendre la relève. Les  Pirates caracolent depuis presque un an en tête des sondages et font un travail de fond pour préparer une participation à la gestion politique du pays, mais ils sont encore un grand point d’interrogation.

Dans ce petit pays, le rôle d’un seul individu est décuplé et peut totalement changer la donne. Les élections présidentielles auront lieu en juin – quel sera le profil du nouveau président ? Jouera-t-il sur la scène politique comme Ólafur Ragnar Grímsson ? Aura-t-il suffisamment de voix lors de son élection pour être crédible dans un environnement en pleine crise morale et politique ?

L’Islande saura-t-elle entreprendre ce grand nettoyage nécessaire pour qu’elle ne soit plus considérée comme une république bananière ? Triste destin pour ce pays qui a vu naître la première république nationale au monde et qui a tous les atouts pour mettre en place une démocratie directe.

Post-scriptum

À l’heure de publier, coup de théâtre : le Président sortant Ólafur Ragnar Grímsson, qui avait déclaré haut et fort lors de son discours de voeux de fin d’année qu’il ne se représenterait pas (après 20 ans en fonction), vient d’annoncer que tout compte fait, et au vu des événements de ces dernières semaines, qui mettent en jeu la stabilité du pays, il avait changé d’avis et décidé de se représenter.

Il est de tradition (relativement courte puisqu’il n’y a eu que 4 présidents depuis l’indépendance en 1944) de ne pas se présenter contre un président sortant. Aujourd’hui 15 candidats à la Présidence se sont déclarés, plus ou moins sérieux (plutôt moins que plus pour la majorité) – deux ont quitté la course après l’annonce du Président sortant et un certain nombre ont rangé dans les tiroirs leurs intentions de se joindre au nombre étonnant de candidats.

Les réactions à l’annonce de Ólafur Ragnar Grímsson ont été immédiates, mais selon une ligne de fracture qui aujourd’hui caractérise l’action politique d’un président qui a repoussé les limites de la fonction présidentielle bien au delà de ce qu’elle représentait jusque là, Ólafur Ragnar Grímsson a un groupe d’admirateurs qui voient en lui une soupape de sécurité dans un environnement politique en plein changement, ce soutien étant basé sur son intervention lors des referendums sur le dossier Icesave.

Un groupe aussi important estime par contre que son temps est terminé, lui reproche de s’être opposé à la mise en place de la nouvelle constitution (qui change entre autres les responsabilités de la fonction présidentielle), d’être trop impliqué dans la politique des partis en choisissant ses « poulains », de s’être trop impliqué dans le soutien aux banksters lors de la crise financière de 2008 et surtout de jouer d’un ego sur-dimensionné se traduisant par un désir d’être « père de la nation » qui tient du passé.

À l’heure où je rédige cette note, il n’y a qu’un seul candidat sérieux en lice, qui a le soutien d’une très large partie des électeurs: Andri Snær Magnússon. Écrivain renommé et respecté, activiste dans la défense de la nature islandaise, il a mis à son programme justement la protection de la nature, la nouvelle constitution et la défense de la langue (islandaise mais pas exclusivement).

Les élections ont lieu en juin, il est probable que d’ici là, le paysage politique islandais aura sérieusement changé.

À propos de Dominique

Slow foodienne à 100%.

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