Faire sa BA

Il y a une quinzaine de jours je fus convié à une séance de collage d’étiquettes à l’église qui jouxte l’école de nos deux plus jeunes enfants. Deux semaines auparavant, nous y avions rencontré un prêtre français, en Islande depuis 25 ans, qui nous avait sollicité pour aider une famille polonaise en proie à quelques difficultés inhérentes à la crise. Anticlérical et agnostique, mais charitable. J’entends déjà les commentaires de certains :

vos enfants fréquentent donc une école privée catholiiiiiique ?

Ben oui. La meilleure de Reykjavik et surtout la seule située à moins de 2 minutes à pied de la maison. Cette dernière caractéristique fût d’ailleurs pour nous un critère déterminant. Car n’étaient certaines appréhensions liées à la présence d’un cascadeur miniature au sein de la fratrie, nous aurions pu opter pour un établissement plus éloigné.

ThingvellirJe fais allusion au célèbre PablitoBanana (de son nom de scène), pas encore 10 ans et déjà un palmarès de chutes, culbutes, fractures et hématomes à faire pâlir les plus grands.
En arrivant ici nous avons supposé que nous augmentions sensiblement ses chances de survie en diminuant d’autant le nombre de rues à traverser. A fortiori quant on imagine ce que peut être une capitale située très légèrement au sud du cercle polaire arctique par un doux mois de décembre.
Ah ! On commente moins là, hein ?

Je disais donc, que récemment, ma participation fût à nouveau requise pour préparer l’envoi de saintes brochures.
« Amen-toi » qu’il aurait pu dire le curé.
Lorsque je suis arrivé au presbytère, quelques bonnes âmes œuvraient déjà dans la grande pièce qui, en temps normal, doit servir de réfectoire. Les tables rectangulaires en mélamine de couleur crème avaient été rapprochées afin de réunir les âmes serviables. Dans la salle bien chauffée, j’ai dénombré de nombreuses croix de tailles différentes, quelques images pieuses d’un Christ agonisant et une dizaine d’Evêques disposés très parallèlement les uns à côté des autres sur un pan de mur entier, entourant un souverain pontife très légèrement surélevé. L’égalité devant Dieu n’exclut pas certains privilèges ici bas.

Entre 2 nones d’origine mexicaine, 2 islandaises d’un âge canonique, la cousine de mon épouse et le prêtre français, je me suis installé en silence avec mes piles de magazines, à peine réveillé, le cheveu encore hirsute et la barbichette de 3 jours… J’eus mérité la tapette.

Frida Arnadottir à Nagrenni, Hergard Jensen à Grindavik…

Mon intervention a d’abord consisté à coller des étiquettes adresses sur un magazine destiné aux fidèles (lecteurs).

Asgeir Sveinnson à Vesfirdir, Pall Baldursson à Vogar…

A peine avais-je commencé à fixer les étiquettes sur les 4e de couverture que l’une des islandaises présentes, le sourire charitable et mutique, s’était approchée de moi, avait pris ma pile de saints magazines et l’avait retourné pour m’éviter une manipulation inutile ; autrement dit pour augmenter ma cadence.
Cette adepte probable d’une organisation tayloriste du travail s’était ensuite rassise plus silencieuse que jamais et avait repris ses gestes mécaniques avec bien plus d’ardeur que je n’en avais déployé jusqu’à présent.
Les regards ecclésiastiques sans doute mobilisaient-ils la ferveur de la dame.
Une heure plus tard, j’avais sans doute collé 3,3 étiquettes de plus que mon organisation originelle ne l’eût permis.

Anna Kristin Jensdottir à Flatey, Dean Martin à Akureyri, Dageir Palsson à Hrisey…

Dean Martin à Akureyri ? Pourquoi envoyer Kapolska Kirkjubladid à cet acteur-crooner italo-américain mort depuis plus de 10 ans ? Et de surcroît dans une ville de la taille de Cognac (Charente) ? Dean avait-il eu ici un pied à terre avant d’être enterré 6 pieds sous terre ? Ou bien les mises à jour étaient-elles ici plus contraignantes qu’ailleurs ? Avec Pablo Néruda collé entre le pouce et l’index quelques instants plus tard j’ai supposé qu’il s’agissait d’un moyen de contrôler les envois ; stratagème utilisé en marketing direct (un peu différemment ailleurs) pour s’assurer que le routeur procède bien aux expéditions dont il a la charge. Adresser cette prose cléricale à un communiste notoire il fallait malgré tout oser. Les islandais ne manquent décidément pas d’humour.

Ma mission s’est achevée avec l’agrafage d’un bordereau destiné à recueillir les dons des abonnés.
Parce que je plaçais ladite bafouille un peu trop bas sur la page, un grand gars musclé, genre Quasimodo, m’a expliqué dans un anglais aux tonalités graves et roucoulantes que je masquais le laïus destiné à convaincre les ouailles de l’intérêt de leurs dons. Le prosélytisme avait ses règles que je me devais de respecter. Alors, devinant moi aussi les regards des soldats de Dieu emmurés, et souhaitant m’épargner leur céleste courroux, je n’ai pas bronché et permis au sermon dactylographié de faire son office.

Deux heures et un rapide café plus tard j’abandonnais mes condisciples et rentrais chez moi avec le vague sentiment d’avoir perdu mon temps, mais heureux d’avoir fait ma BA.

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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4 comments

  1. Dean Martin vivrait donc, comme Elvis. Bonne année 2009, donc!

  2. Bonjour Ami Islandais,

    dis moi le Quasimodo en question il avait pas des airs de Salvatore dans le Nom de la Rose? 😉

    Merci pour tes voeux. Ma tribu d’amazones a apprécié 🙂

    Après un Noël qui je l’espère a été joyeux, je t’adresse à présent mes bons voeux pour 2009. Que celle-ci soit source de joies multiples et apporte une santé de fer à toute ta petite famille 🙂

  3. très drôle …je vous souhaite une très belle année 2009 😉

  4. Le catholiscime va revenir a la mode en Islande… etant donnée que Þorsgerður Katrin, (l actuelle ministre de l Education, pretendente au titre de prochain premier ministre….) Est une fervente catholique… et que cela pose deja probleme au sein du gouvernement…:-)

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