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Islande : ça s’est passé en janvier

5 ans… Dans un pays où l’on est prompt à célébrer les anniversaires, voici un silence bien intéressant ! Rien ou presque n’a été rappelé de cette « Révolution des Casseroles » qui a conduit, voici tout juste 5 ans, à la démission du gouvernement de Geir Haarde (Parti de l’Indépendance + Alliance Social-démocrate) et à la nomination immédiate d’un gouvernement « provisoire » chargé notamment d’organiser des élections législatives deux ans après celles qu’avait gagnées le Parti de l’Indépendance !

Revenons rapidement sur la chronologie du changement de gouvernement. Lorsque commencent les fêtes de Noël, Geir Haarde veut croire que le plus dur est derrière lui. Grâce aux mesures décidées dans l’urgence en octobre, grâce au concours du FMI, le bateau semble flotter à nouveau ; le Parti de l’Indépendance va pouvoir rester au pouvoir avec l’Alliance social-démocrate. Certes les manifestants « des Casseroles » devant l’Alþingi sont devenus de plus en plus nombreux et des violences sont apparues, mais il peut légitimement espérer que la trêve de Noël va calmer le jeu. Las, les manifestations reprennent de plus belle début janvier. L’Alliance social-démocrate ne se sent plus très à l’aise dans cette coalition qui a conduit le pays à une crise économique sans précédent, d’autant que son grand allié reste très hésitant sur l’adhésion à l’Union Européenne, dont elle a fait son cheval de bataille.

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Le 17 janvier le Parti du Progrès réuni en congrès vote une motion favorable à cette adhésion sous certaines conditions concernant la pêche et l’agriculture. Le lendemain il se dote d’un nouveau président : Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, journaliste, alors âgé de 33 ans et membre du parti depuis un mois seulement. Celui-ci se dit tout à fait à l’aise avec la motion pro-européenne de son parti.

Le 21 janvier, sous les huées des manifestants, l’Alþingi ouvre sa session : à l’ordre du jour une proposition de loi concernant la vente de la bière. Dehors, les manifestants se sentent insultés et se déchaînent. La proposition est retirée au profit d’un débat sur la situation.

Le 23 janvier, Steingrímur Sigfússon (Président de la Gauche-Verte) tente en vain de rassembler une majorité contre l’accord avec le FMI. Mais le coup de grâce est porté par Björgvin G. Sigurðsson, Ministre de l’Economie (Alliance Social-démocrate) et donc en charge de la supervision des banques : il reconnaît publiquement sa responsabilité dans la crise et démissionne. Le plan de rechange est déjà prêt, préparé en coulisses par l’Alliance social-démocrate et la Gauche-Verte et facilité par le Parti du Progrès. Son nouveau président accepte la création d’un gouvernement minoritaire le temps de préparer de nouvelles élections ; deux conditions : l’élection d’une assemblée constituante et la mise en oeuvre (déjà !) d’un programme de réduction des dettes des ménages. A la surprise de ses interlocuteurs il ne revendique aucun ministère, ni même de participation aux décisions du gouvernement.

Le 27 janvier le Président Ólafur Ragnar Grímsson annonce la nomination de Jóhanna Sigurðardóttir (Alliance social-démocrate) comme Premier Ministre. Steingrímur Sigfússon cumulera les fonctions de Ministre des Finances, de la Pêche et de l’Agriculture.

On connaît la suite : la victoire des deux alliés aux élections du 25 avril 2009, la sortie de crise qui fait l’admiration des observateurs, une exceptionnelle déroute aux élections de 2013 (de 34 à 16 députés sur 63)… Et aujourd’hui un gouvernement qui se comporte comme si la crise n’avait jamais eu lieu !

Une révolution pour rien ?

s’interroge un des rares journalistes à évoquer cet anniversaire… Effectivement, trop occupé peut-être à faire face aux difficultés économiques et à ses dissensions internes, le gouvernement n’a apporté aucune réponse aux demandes des « Casseroles » bien qu’il les ait inscrites dans son programme. Et la vie politique se poursuit comme avant la crise, avec même une pointe d’arrogance de la part de la nouvelle majorité. Pourtant un examen plus attentif montre des évolutions : le Parti de l’Indépendance n’a pas retrouvé sa place de 2007 (25 sièges alors, 19 maintenant) ; en mal de tenir des promesses électorales bien démagogiques, le Parti du Progrès perd des points. Les partis de l’ancienne majorité cherchent encore leurs marques. Mais surtout deux nouveaux partis, Avenir Radieux et les Pirates, occupent maintenant une place significative dans le paysage politique et semblent, au moins le premier, en mesure d’y perdurer.

L’actualité politique

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Birgitta Jonsdottir

Le dernier sondage MMR illustre ce qui précède : à 26%, le parti de l’Indépendance est légèrement inférieur à son niveau des élections, alors que le Parti du Progrès tombe de 24.4 à 17%, et se trouve ainsi rattrapé par l’Alliance social-démocrate (de 12.9 à 17%). Mais la progression la plus spectaculaire est celle de Avenir Radieux, de 8.3 à 16%. Les Pirates passent de 5.1% à 7% ; la Gauche Verte reste à son niveau d’avril 2013 (11%). Nous sommes bien évidemment en début de législature ; mais nous sommes aussi très proches des élections locales prévues en mai 2014. Celles-ci sont plus personnalisées encore que les élections nationales, pourtant Reykjavík est intéressant à plus d’un titre. La capitale représente à elle seule près de 40% de l’électorat de l’île et elle a été jusqu’à l’arrivée de Jón Gnarr et son Meilleur Parti un fief du Parti de l’Indépendance. Or Jón Gnarr ne veut pas d’un second mandat, dissout son Meilleur Parti et adoube Avenir Radieux. La greffe semble prendre : avec près de 30% des suffrages Avenir Radieux disposerait de 5 des 15 sièges du Conseil Municipal (6 actuellement pour le Meilleur Parti), l’Alliance Social-démocrate, alliée du Meilleur Parti au Conseil passerait de 3 à 4 sièges (21.8% au lieu 19.1), le Parti de l’Indépendance aurait aussi 4 sièges (-1) tombant de 34 à 25% des suffrages. Les Pirates feraient leur entrée au Conseil, et la Gauche Verte garderait son siège. Le Parti du Progrès ne regagnerait pas le siège perdu en 2010. Un camouflet pour les partis au gouvernement.

Et le Parti de l’Indépendance se crée une difficulté supplémentaire en présentant une liste dont les trois premiers sont des hommes, ce qui provoque la colère de femmes politiques de tous les partis.

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Dagur B. Eggertsson

En vain. Un autre sondage vient compliquer la situation : interrogés sur le nom de leur futur Maire, les habitants de Reykjavík ne sont que 10% à souhaiter l’élection par le futur conseil de Björn Blöndal, ami de Jón Gnarr, tête de liste de Avenir Radieux ; 20% lui préfèrent Halldór Halldórsson (Parti de l’Indépendance) et 50% Dagur B. Eggertsson (Alliance Social-démocrate). Dagur ne manque pas de références : il a été un éphémère Maire de Reykjavík (octobre 2007-janvier 2008) et surtout Président du «Borgarráð » de la ville pendant toute la mandature de Jón Gnarr, donc véritable maire adjoint en charge de la gestion de la ville. Björn et Dagur resteront-ils alliés ?

La situation économique

J’ai longuement évoqué la situation économique de l’île dans ma précédente chronique ; rien en janvier ne vient infirmer les évolutions macro-économiques positives que je décrivais. Au contraire, Standard & Poors rehausse de « négative » à « stable » la note du pays. La couronne reste solide : 157 Ikr pour 1 €. Le tourisme en particulier confirme la place dominante qu’il est en train de prendre dans l’économie islandaise ; c’est notamment à la suite de sa progression que les prévisions d’évolution du PNB 2013 ont été sensiblement revues à la hausse pour dépasser 3%. L’évolution la plus prometteuse est celle du tourisme en hiver : le nombre d’étrangers passés par l’aéroport de Keflavík a progressé en décembre de 49% pour atteindre 41700. Et ceci est important car l’allongement de la saison facilitera l’amortissement des installations. Heureusement, les aurores boréales étaient au rendez-vous !

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L’afflux estival de touristes commence à poser problème : nombreux accidents ou personnes qui se perdent, touristes peu respectueux d’une nature fragile, baleines mécontentes d’être dérangées… Il n’est que de lire sur les sites spécialisés les projets chronométrés de personnes voulant « faire » l’Islande pour s’inquiéter ! Une réponse à l’étude est de « taxer » les touristes ; c’est déjà décidé (moins de 1000 Ikr – 6€) pour Geysir qui est un site privé et clos. Ce sera beaucoup plus difficile pour les autres sites. Et faut-il vraiment réserver l’Islande aux plus riches ? Les loueurs de voitures en tout cas sont prêts : l’un d’eux a acheté en 2013 plus de 1000 véhicules, soit 14% des achats de voitures neuves en Islande, portant ainsi sa flotte à 3000 véhicules. L’environnement n’est pas semble-t-il la principale préoccupation du ministre, Sigurður Ingi Jónsson (Parti du Progrès), qui en a la charge avec l’agriculture et la pêche. Une fois de plus il veut revenir sur une décision du précédent gouvernement. Sous prétexte de mieux le protéger il s’agit cette fois de revoir la configuration du Parc National de Þjórsárver (centre de l’île), ce qui aurait pour effet de dégager une zone dans laquelle le producteur d’électricité Landsvirkjun pourrait construire un lac artificiel, au risque de recouvrir plusieurs chutes d’eau de ce site magnifique. Le parc est aussi connu pour accueillir le 1/3 des 280000 oies à bec court vivant au monde.

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De l’économique au social

Accord ASÍ / SA Comme on pouvait le craindre l’accord signé SA (employeurs) et ASÍ (employés) a du mal à passer auprès des syndicats fédérés dans ASÍ : environ la moitié d’entre eux l’ont rejeté, estimant insuffisante l’augmentation de salaires (2.8%) qu’il prévoit. SA refusant de rouvrir la négociation, il appartient aux syndicats ayant rejeté l’accord de négocier avec l’organisation patronale de leur secteur. Le taux de 2.8% peut effectivement paraître faible dans un pays où l’inflation a varié en 2013 entre 3.5 et 4%, mais la tendance est au ralentissement et les signataires ont voulu faire preuve de responsabilité en évitant de la relancer. Le gouvernement apporte sa contribution : il crée une commission qui devra proposer des actions susceptibles de réduire les tensions inflationnistes. Dans l’immédiat, Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances et Président du Parti de l’Indépendance, annonce une réduction des taxes sur les produits pétroliers, l’alcool et le tabac. Coût : 460 millions d’Ikr (2,6 millions d’€).

Suppression de l’indexation des emprunts immobiliers Après son programme de réduction des dettes immobilières des ménages, Sigmundur Davíð a décidé de s’attaquer à l’indexation des prêts immobiliers. Une commission d’experts est créée et présentée en grande pompe à la presse, mais le résultat déçoit tant le Premier Ministre que ni lui ni d’autres membres de son gouvernement ne sont présents lors de la présentation du rapport : supprimer l’indexation des prêts immobiliers n’est pas si facile dans un pays exposé à l’inflation, et peut désorganiser dangereusement le marché immobilier.

Immigration et asile L’Islande à nouveau attire : le nombre d’immigrés est aujourd’hui de 6.7%. Souvent employés dans la transformation du poisson, leur nombre peut dépasser 15% dans des villages côtiers, qui se sentent démunis quand il s’agit d’enseigner l’islandais aux nouveaux venus ou de scolariser leurs enfants. Le nombre de demandeurs d’asile a lui aussi beaucoup crû, et avec lui la durée d’examen des situations individuelles : 229 jours en moyenne en 2012. Un projet de loi vise à revoir le système : chaque demandeur d’asile saura dans les 48 heures si sa demande sera examinée ou immédiatement rejetée comme non conforme à la législation de l’île.

Relations internationales

L’actualité de ce mois est dominée par le vote de l’Alþingi (30 janvier) en faveur de l’accord de libre échange signé avec la Chine : 2 députés Pirates ont voté contre, le troisième s’est abstenu, ainsi que 2 députés de la Gauche Verte. L’approbation est donc quasi unanime pour un accord dont la négociation a débuté en décembre 2006 et s’est poursuivie sous la responsabilité de quatre ministres des Affaires Etrangères. Il prévoit une baisse de 12% des droits sur les produits de la pêche, mais surtout d’importantes possibilités de coopération sur la recherche en matière d’énergies nouvelles. Et Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères (Parti du Progrès), ne doit pas être mécontent de montrer que l’Islande a des amis hors d’Europe ! Car l’opinion évolue : 50% des personnes interrogées sont hostiles à l’adhésion et non plus 2/3 comme en janvier 2013. 32.3% sont favorables contre 25% voici un an. De plus 67.5% des personnes interrogées dans un autre sondage veulent le référendum sur la poursuite de la négociation promis pendant la campagne électorale, et cette opinion est majoritaire dans tous les partis y compris le Parti du Progrès. Pour repousser leur demande l’argument de Sigmundur Davíð est toujours le même : inutile de demander l’opinion des électeurs puisque son gouvernement ne veut pas entrer dans l’Union Européenne ! Argument repris en choeur par les autres ministres du Parti du Progrès… Mais n’est-ce pas précisément ce refus que les électeurs sanctionnent en étant toujours plus nombreux à vouloir donner leur avis ?

Mais l’Islande doit aussi se soucier de sa sécurité. Le 7 janvier Gunnar Bragi rencontre à Helsinki Erkki Tuomioja son homologue finlandais. Il s’agit principalement de mettre au point la couverture aérienne qui sera assurée par la Finlande et la Suède, qui succèdent ainsi à la Norvège. Par contre aucune solution n’a pu être trouvée au conflit du maquereau lors de la réunion de Bergen (31 janvier) où se rencontraient une nouvelle fois Européens (UE), Féringiens, Norvégiens et Islandais.

Pendant ce temps la vie continue

  • 10.01 : « Touristes de l’année » selon le concours organisé par le journal The Grapevine : ceux qu’il a fallu récupérer alors qu’ils pique-niquaient sur un iceberg à la dérive…
  • 13.01 : il y a 2600 chiens et 3598 chats à Reykjavík ; jamais ils n’ont été si nombreux. Par contre on n’a toujours pas trouvé d’elfes !
  • 9 24.01 : sur les 21 102 employés de l’Etat, seuls 1186 bénéficient de la garantie d’emploi
  • 25.01 : Einar K. Guðfinnsson, président de l’Alþingi, trouve que la « bière de baleine » est très goûteuse
  • 26.01 : il y a plus de femmes que d’hommes en formation à l’Ecole de Police
  • 31.01 : en 2013 le Président Ólafur Ragnar a passé 94 jours à l’étranger.

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© Photos « Révolution des Casseroles » – Source : wikimedia.org Photo Parc National Þjórsárver : http://www.savingiceland.org/ Photo des touristes déjeuner sur la glace : The Reykjavik Grapevine

À propos de eric

Chroniqueur taquin en phase d'apprentissage.

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